Créer une entreprise est un art et non une science

Par Jean Lepage

« Il ne faut pas trop regarder en avant. Si nous analysons trop, nous ferons ça toute notre vie et nous n’avancerons pas. »- Jocelyn Labbé- Fromagerie de l’Isle d’Orléans

Deux individus qui ne se connaissent pas, partent en voyage et visitent la même ville.

Ils rencontrent les mêmes personnes, explorent les mêmes lieux et sont exposés aux mêmes idées. Chacun de leur côté, ils remarquent quelque chose d’intéressant et de différent.

Des fragments d’information se cristallisent dans leur tête. Une idée d’affaires est en train de germer. Ils commencent à voir les contours d’un marché, d’un produit, d’une opportunité, d’une entreprise. Ils entrevoient la façon de faire de l’argent avec cette idée. Le désir de se lancer en affaires devient de plus en plus pressant. Ceci soulève une question: Quel processus entrepreneurial devraient-ils adopter pour créer leur entreprise?

Le processus entrepreneurial est l’ensemble des actions que l’on fait pour démarrer quelque chose, et voler de ses propres ailes. Le processus entrepreneurial vise à accumuler des ressources pour faire plus de choses. Jusqu’à maintenant, on ne savait relativement peu de choses sur ce processus.

Afin de démarrer leur entreprise, créer de nouveaux produits ou de nouveaux marchés, ils peuvent choisir entre deux grands processus, la causation et l’effectuation.

C’est l’environnement, les préférences de l’entrepreneur et le degré d’incertitude ressentie qui détermine quelle approche est la plus appropriée. 

La cassation (la cause crée un effet) est la version délibérée du processus entrepreneurial. L’entrepreneur découvre une opportunité dans un marché existant et définit une offre, pour par la suite la mettre en œuvre, en allant chercher les ressources dont il a besoin. Ce processus est basé sur les meilleures théories de gestion qu’on enseigne à dans les meilleures universités.

Les penseurs de la causation croient que si l’entrepreneur peut prédire l’avenir, il peut le contrôler. Sa réussite dépend de la qualité de la planification et de ses prédictions.

Cependant, lorsqu’il est confronté à des environnements d’incertitude radicale, ce processus est complètement inefficace.

L’effectuation, (créer des effets par l’action) c’est la logique qui définit l’expertise entrepreneuriale. Elle permet l’action dans des conditions d’extrême incertitude dans lesquelles évoluent la plupart des startups innovantes. Selon ce processus, s’il est possible de contrôler le futur, l’entrepreneur n’a plus besoin de mettre autant d’effort pour tenter de le prévoir, en rédigeant son plan d’affaires par exemple. Il peut alors mettre plus d’énergie pour faire progresser ses idées. La réussite du point de vue de l’entrepreneur est davantage une question de démarche sociale combinée à la capacité de l’entrepreneur de susciter des engagements. 

La créativité est le résultat d’une action collective dont l’entrepreneur est le maitre d’œuvre. De nouveaux marchés, de nouveaux produits ou de nouvelles entreprises sont ainsi créées, parce qu’à la fin de la démarche, ce que l’entrepreneur a réussi à accomplir, ne lui était pas connue au départ, ni imaginable, ni même possible au début de ses démarches.

Pour revenir à nos deux individus qui partent visiter la même ville, le premier décide d’adopter le processus classique de la causation. Il trouve une idée d’affaires existante et planifie soigneusement le démarrage de son entreprise en définissant clairement son produit et son marché. Il se fixe un but ambitieux, devenir la référence dans son domaine, pour ensuite réfléchir aux moyens pour atteindre son but. Il part de l’hypothèse qu’il réussira avec le temps à réunir toutes les ressources dont il a besoin avant de se lancer en affaires. 

Il fait le pari qu’il sera en mesure de trouver le bon couple produit/marché grâce à son analyse fine du marché. Enfin, il met en œuvre son plan d’affaires et fait ce qui a été planifié.

L’autre individu choisit, comme la plupart des entrepreneurs d’expérience l’auraient fait, d’entreprendre une démarche d’effectuation. L’effectuation est une approche dynamique de résolution de problèmes à travers laquelle les buts sont découverts au fur et à mesure que l’entrepreneur fait progresser son projet. Cet individu détermine ce qu’il peut faire avec les moyens dont il dispose au départ. S’il lui manque une ressource, il lui suffit d’interpeler des parties prenantes pour la trouver. Il développe peu à peu l’opportunité en adoptant une stratégie de co-construction.

Pour représenter les deux processus sous la forme d’une analogie, imaginez un instant que vous invitez quelques amis à la maison pour prendre le repas. Vous désirez d’épater la galerie en concoctant un plat vraiment spécial que vous n’avez jamais fait.

Deux options s’offrent à vous:

1- Si vous adoptez la causation, vous prenez un livre de recettes pour trouver ce plat (s’il existe déjà), vous choisissez le menu, identifiez tous les ingrédients, vous les achetez à l’épicerie et suivez étape par étape la recette. Le résultat est connu à l’avance et les étapes à suivre sont précises. Votre but est prédéterminé, faire la recette et la réussir. Ce parcours est sans surprise pour vous, à moins que vous rencontriez un pépin en cours de route, vous ne trouvez pas la recette, ou encore, un ingrédient essentiel est en rupture de stock. Dans de tels cas, vous devrez revoir entièrement votre menu. Vous serez peut-être à court de temps, et même essuyé une perte en ayant acheté des ingrédients dont vous n’aurez plus besoin.

2- Dans la deuxième option, vous choisissez faire votre plat à travers l’effectuation. Vous regardez ce qui est disponible dans votre garde-manger et votre réfrigérateur et concoctez un plat original constitué à partir de ces ingrédients. Les moyens auxquels vous avez accès, les accessoires de cuisine, les ingrédients, vos talents culinaires définissent votre but, c’est-à-dire, mijoter la recette que vous avez créée. S’il vous manque un accessoire de cuisine ou un ingrédient, vous pouvez toujours l’emprunter à votre voisin ou l’acheter au magasin. Vous pourriez aussi demander à vos amis de participer à la co-construction du repas, en demandant à chacun d’apporter un ingrédient et en décidant de cuisiner tous ensemble. Il se peut que le résultat soit mauvais. 

Mais en faisant de la créativité et de l’imprévue vos alliés, vous avez la possibilité de transformer votre repas en quelque chose d’exceptionnel dont vos amis se souviendront longtemps. Votre perte est aussi limitée puisque vous n’avez pas à dépenser d’importantes sommes d’argent dans l’achat de nouveaux ingrédients puisque vous maximisez les ressources que vous possédez déjà.

Les deux façons de faire un repas peuvent fonctionner pourvu que vous connaissiez un peu la cuisine et que vous ayez du plaisir à le faire. Sinon, vous pouvez toujours choisir d’autres options moins risquées, aller au restaurant ou encore acheter un met tout fait.

De la même façon, une personne doit aussi posséder quelques bases en entrepreneuriat et en gestion avant de se lancer, sinon il peut choisir de se trouver un emploi et travailler pour quelqu’un d’autre.

Pour reprendre une autre analogie, assembler un casse-tête est à la causation, tandis qu’appliquer la technique du patchwork pour une courtepointe est à l’effectuation. Celui qui assemble un casse-tête a une vue d’ensemble du portrait dès le début. Le résultat attendu est prédéfini. Il assemble une à une toutes les pièces dans le sens voulu de l’éditeur. Alors qu’un patchwork est un assemblage hétéroclite qui permet de laisser libre cours à son imagination. La courtepointe se précisera à mesure que la personne trouve et assemble les morceaux.

La causation et l’effectuation, les deux processus pour se lancer en affaires, créer de nouveaux produits ou de nouveaux marchés, sont à l’opposée l’une de l’autre. Une n’est pas meilleure que l’autre. Tout dépend du contexte. La causation est reliée à la façon dont les gestionnaires abordent les problèmes typiques d’un démarrage d’entreprise. Le plan d’affaires est l’outil central de cette méthode. Tandis que l’effectuation est identifiée au modèle de pensée utilisé uniquement par les entrepreneurs chevronnés. Ils utilisent des principes qui sont agencés en tout ou en partie, durant le déroulement du projet. En s’appuyant sur ces principes, l’entrepreneur apprend en double boucle: il augmente ses ressources, ce qui lui permet de viser de nouveaux buts, et, en même temps, en échange de son implication dans le projet, chaque partie prenante apporte aussi des contraintes qu’il doit accommoder. Ce double cycle définit l’opportunité d’affaires que l’entrepreneur poursuivra.

Et vous, lequel préférez-vous?

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