Est-ce que votre service de développement économique est performant ?

Par Jean Lepage

Les services et les organismes de développement économique désirent tous démontrer leur impact par des retombées directes et quantifiables. D’une part, ils veulent s’assurer que leurs efforts soient reconnus par la communauté d’affaires. D’autre part, des résultats probants leur permettent de répondre aux attentes de leurs bailleurs de fonds. 

Afin de mesurer leur impact, la plupart des services utilisent au moins quatre variables: la création d’emplois, l’investissement, le nombre d’entreprises accompagnées et dans une moindre mesure, les retombées fiscales. 

Même si la plupart des villes et des régions les voient comme indispensables, l’impact de leur service de développement économique est rarement immédiat et leur valeur ajoutée est très difficile à mesurer. D’une part, parce que dans les entreprises où elles interviennent génèrent des retombées à plus long terme. D’autre part, parce que le travail des développeurs économiques est souvent influencé par des facteurs socio-économiques qui sont hors de leur contrôle. Tenter de mesurer l’impact du développement économique avec exactitude, constitue une tâche titanesque, mais possible. 

Une stratégie de développement économique basée sur les exportations et l’attraction des investissements étrangers a peu d’impact économique.

Depuis plusieurs années, l’Institut de recherche Brookings suit l’évolution de 28 métropoles américaines qui se sont toutes engagées envers les mêmes cibles économiques ; 1- l’accroissement des exportations et 2- l’attraction des investissements étrangers. Elles y consacrent beaucoup d’énergie, convaincues que leur engagement envers ces cibles aura un impact significatif sur la prospérité de leur collectivité. 

Mesurer l’impact du développement économique est difficile

Selon l’Institut, il sera impossible de mesurer l’impact d’une stratégie de développement économique basée sur les exportations et l’attraction des investissements étrangers

Pourquoi? Parce les données ne sont pas compilées selon les municipalités. La seule façon d’y parvenir c’est en collectant directement les données auprès des entreprises concernées via une enquête approfondie, que l’on réalise chaque année. Cependant, cette façon de faire est vouée à l’échec. L’acquisition et de traitement de toutes ces données nécessite des ressources qui dépassent la capacité de la plupart des services de développement économique. De plus, ces données n’existent pas, parce que les entreprises ne les compilent tout simplement pas. Et même si elles le faisaient, le mode de compilation serait différent d’une entreprise à l’autre, ce qui rendrait toutes comparaisons impossibles. 

Peter Drucker avait donc raison lorsqu’il écrivait « Ce qui ne peut pas être mesuré ne peut pas être géré ».

Les difficultés de compiler des données fiables ne s’arrêtent pas là. Quelques 92 % exportations sont effectuées par les grandes entreprises (des grands intégrateurs comme Boeing ou Alstom par exemple). Étant très bien organisées, ces grandes entreprises n’ont pas besoin d’aide d’un service en développement économique local pour accroitre leurs exportations ou la diversification de leurs marchés

De plus, ces grandes entreprises entretiennent davantage une relation aigre-douce « donneur d’ordre- sous-traitance » basée sur les coûts les plus faibles et la productivité la plus élevée avec les PME, plutôt qu’une relation qui leur permettrait de se développer pleinement. Seulement 8 % de toutes les exportations sont effectuées par 88 % de toutes les entreprises. Un si petit volume à l’exportation réparti entre un aussi grand nombre d’entreprises, rend la collecte d’information encore plus difficile.

« Ce qui ne peut pas être mesuré ne peut pas être géré ».

L’évolution des investissements directs étrangers est tout aussi difficile à trouver. Encore ici, les données n’existent pas ou sont très difficiles à compiler, même en utilisant des services de veille comme le FDImarkets.

Mesurer avec exactitude l’impact du développement économique n’est pas une mince tâche, mais pas impossible. Des initiatives en développement économique, tel que Valet en Virginie, réussissent à collecter des données fiables sur les exportations, même si c’est les résultats ne sont pas complets. Valet est un programme d’accélération des exportations pour les entreprises à fort potentiel de taille moyenne. Les entreprises participantes doivent faire une application et fournir leurs données de base. D’une durée de deux ans, le programme permet de mesurer les succès de façon plus précise. D’ailleurs, les entreprises ayant participé au programme ont connu une augmentation de 54 % des ventes à l’exportation. 

Il y a cependant un bémol dans la mesure de l’impact. Ce programme attire des entreprises qui sont déjà en bonne position pour exporter. C’est comme si on supportait les chevaux gagnants, ce qui constitue un biais de sélection. Dans une étude, Timothy Barlik, les biais de sélection sont une contrainte importante dans la mesure d’impact, car en ne comparant que les entreprises présélectionnées ayant participé à un programme, les résultats seront nécessairement surestimés. 

Dans le domaine du développement économique, les erreurs fondamentales d’interprétation sont courantes. Prenons par exemple l’indicateur de la création d’emplois. Il constitue un mauvais indicateur pour trois raisons :

1- Les services de développement économique s’attribuent à tord les créations d’emploi 

Les services de développement économique ne créent pas d’emplois, ce sont les entreprises qui le font. La création d’emploi demeure un indicateur peu fiable puisqu’il y a trop de facteurs à considérer. Il est donc impossible de conclure que la création d’emploi dépend du travail des services. 

2- Les services de développement économique «achètent» des résultats

Les services doivent démontrer qu’il y a un lien entre leurs interventions et l’impact en entreprises. En échange d’une contribution financière, les services ont accès aux chiffres des entreprises. Une étude conclut que 80 % à 90 % des emplois créés, en offrant un incitatif (congés de taxes, subventions…) constituent du remplacent d’emplois existants, ou encore auraient été quand même été créés sans l’intervention du service. 

3- Les services de développement économique surestiment les emplois créés

La plupart des services peuvent citer avec précision le nombre d’emplois créés durant une année. Mais la précision n’est pas un gage d’exactitude. Certains vont calculer la création d’emplois sur plusieurs années pour une intervention réalisée lors de la première année. D’autres se basent sur les prévisions d’emplois (des emplois potentiels et non encore concrétisés), lesquels sont souvent surestimées. Si on comptabilisait chacun des emplois que les entreprises prévoient créer, ils dépasseraient le nombre d’emplois disponibles. Enfin, les services ne tiennent pas compte des pertes d’emplois.  

Les données provenant des entreprises issues de la prospection opportuniste comportent aussi des lacunes. Généralement, les entreprises qui désirent s’implanter dans une municipalité, l’approchent après avoir pré qualifié quelques zones probables d’implantation.

L’impact du travail des organismes de développement économique dans l’attraction des investissements est souvent marginal parce que la décision est déjà prise. Mais le service l’aura sûrement inscrit tous ces nouveaux emplois dans son rapport annuel.

Même constat au niveau du calcul des retombées au niveau des exportations. De plus en plus de services reconnaissent que les exportations peuvent accroitre la compétitivité d’une entreprise sans qu’il y ait création nette d’emplois, une augmentation des revenus ou même la génération de nouveaux investissements.

Comment peut-on mesurer plus efficacement l’impact?

Afin de mesurer avec plus de précision leur impact, des services de développement économique comparent les données de leur groupe cible avec des groupes témoins ; 1- ceux qui ont été refusés au programme et 2- un échantillon représentatif de l’ensemble des entreprises. 

Une autre façon de mesurer l’impact c’est en dégageant les meilleures pratiques provenant d’études de cas démontrant comment le service a contribué au succès général de l’entreprise.

Les mesures de la satisfaction de la clientèle et les histoires à succès constituent deux autres façons de démontrer un impact lorsqu’on n’a pas accès à des chiffres précis. 

Au Québec, la Société de développement économique de Drummondville (SDED) fait une enquête exhaustive chaque année, de la performance de toutes les entreprises situées dans ses parcs industriels, tandis que l’organisme d’attraction des investissements Montréal International est en mesure de démontrer l’impact réel de ses interventions sur les projets d’investissements directs. L’organisme ID Gatineau quant à lui, fait une enquête annuelle des entreprises clientes ainsi qu’un sondage de satisfaction, en plus de faire un rapport complet sur ses activités.

Vous êtes à court d’indices? Dans son rapport « Making it Count: Metrics for High Performing EDOs», l’organisme International Economic Development Council (IEDC) propose près de 300 indices de performance. On peut faire preuve d’audace et d’innovation, même dans le choix des indices. Vous cherchez d’autres options? Vous pouvez aussi chercher du côté du modèle Doughnut Economics (Hein! des beignes économiques?) qui présente une multitudes d’indicateurs dignes du 21e siècle.

Il y a plus de 400 organismes, agences, et services qui accompagnent de près ou de loin, tous les jours, les entrepreneurs québécois. Devant cette multitude de ressources, comment chacun joue son rôle? Comment évaluez-vous la performance de votre service de développement économique? En quoi ce service est-il différent des autres services comparables? Si on vous demandait votre opinion quant au bien-fondé de ce service, que diriez-vous pour démontrer son existence?  La nécessité de le réformer ou pour l’abolir? La réponse peut surprendre bien des parties prenantes.

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