La boite noire de l’accompagnement en entreprise

Par Jean Lepage

Les gouvernements appuient un large écosystème d’intervenants qui accompagnent les entrepreneurs à tous les niveaux. On ne compte plus les organisations et les initiatives visant à supporter l’entrepreneuriat.

Ce vaste écosystème a plusieurs buts; créer des entreprises, réduire le taux d’échec et stimuler la croissance. La mission première de la plupart des intervenants de l’écosystèmeest de rendre les communautés plus prospères et durables. Mais est-ce que les intervenants livrent bien la marchandise?

D’après l’enquête du Global Entrepreneurship Monitor (GEM 2019-2020), l’entrepreneuriat décline au Québec. Il y a un bon nombre de créations d’entreprises. Mais beaucoup trop d’échecs après quelques années d’opération. Le déclin de l’entrepreneuriat risque de s’accentuer.

La boite noire de l’accompagnement

En examinant de près les différentes prestations de service des intervenants, il est difficile de distinguer ceux qui font un excellent travail, des moins performants. Le manque de référentiels et de pratiques communes d’accompagnement fait problème. Sans référentiels clairs,  bien former les conseillers, et par la même occasion, améliorer la prestation de service des intervenants constituent un défi.

Pour une foule de raisons, l’accompagnement demeure une sorte de boite noire qui rend très difficiles toutes comparaisons.

Entre l’accompagnement et le laisser-faire

Nous avons aujourd’hui une meilleure compréhension de l’entrepreneuriat. Nous connaissons mieux les attentes des entrepreneurs. Nous savons qu’ils doivent intégrer toutes les ressources et les outils dont ils ont besoin pour réussir leur projet. Si certains réussissent sans aide, la plupart des entrepreneurs auraient intérêt d’être accompagnés.  Mais qu’est-ce qu’un accompagnement efficace?

Le terme « accompagnement » est du jargon propre aux intervenants. Il comporte plusieurs sens qui ne veulent pas dire grand-chose pour les entrepreneurs. Ils peuvent être à la recherche de conseils, de formation, de mentorat, d’une écoute, d’expertise, de contacts, de coaching ou simplement d’argent. Ils s’attendent plutôt de recevoir une prestation de service claire et pertinente.

La pertinence de l’accompagnement

Les conseilleurs appuient les entrepreneurs dans leurs projets à travers une démarche de co-construction. Ils favorisent les apprentissages grâce à un instrument, le projet d’affaires. Le but ultime des interventions est de faire progresser les entrepreneurs à travers deux buts opposés, viser l’autonomisation, tout en créant un lien d’interdépendance et de confiance.

Mais au fil des temps, la notion d’autonomisation propre à l’accompagnement s’est perdue.  Nous n’équipons plus les entrepreneurs afin qu’ils puissent apprendre à agir d’eux-mêmes. Nous les responsabilisons! Ils sont désormais imputables, et donc les seuls responsables de leur succès ou de leur échec.

L’accompagnement est devenu une sorte de boite noire, réduite à ses attributs les plus faciles à repérer; la taille du portefeuille des conseillers, la durée totale de l’accompagnement, les principales étapes franchies, et le nombre d’interventions effectuées.

Ouvrir la boite noire de l’accompagnement peut être compliqué. Parmi les difficultés, évoquons la tendance de certains conseillers à adopter une posture passive, en faisant passer la relation de confiance, dans une forme de «cooconing» réconfortant, avant la mission de l’organisation qui est d’assurer la croissance, la prospérité et l’inclusion de la communauté qu’il sert.  

Si certains entrepreneurs apprécient ce soutien moral, la relation de confiance tend à plafonner au fil des temps, puisque la qualité des échanges ne leur permet plus de prendre du recul, de faire le point, de se mettre en action et de se faire challenger.

Cette tendance à réduire l’accompagnement au seul lien personnalisé entre le conseiller et l’entrepreneur, en survalorisant cette dimension, est également associée aux limites de la reddition de comptes des organisations. Laquelle est souvent basée sur le volume, plutôt que l’impact, la pertinence et la valeur ajoutée.

Transformer la boite noire en boite translucide

À l’intérieur de votre organisation (comme dans toutes organisations), il y a un réseau de « petites boites noires ». Ces petites boites noires, c’est le travail réalisé par chacun de vos conseillers. Lorsque vous faites votre reddition de compte, vous mesurez votre impact en vous basant sur le résultat concret de leur travail. Mais s’il vous manque d’information ou si cette information n’est pas accessible, vous ne serez pas en mesure d’apprécier pleinement leur contribution.

Si un de vos conseillers partait subitement pendant trois mois et que vous n’êtes pas en mesure de déterminer l’impact de son absence sur les projets, vous êtes probablement confronté à une boite noire de l’accompagnement.

Étant donné le manque de référentiels, chaque structure élabore ses propres pratiques et ses propres cadres d’évaluation. Ce manque de précision et de convergence de la notion d’accompagnement nuit à l’expérience client et à la réputation des intervenants. Il ne suffit pas que l’on dise que l’on fait de l’accompagnement, pour être qualifiée de pratiques d’accompagnement. L’accompagnement est difficile à mesurer. Et comme le mentionne l’auteur Peter Drucker, ce qui ne peut pas être mesuré ne peut pas être amélioré.

Ce qui ne peut pas être mesuré ne peut pas être amélioré.

Comme il vous manque de temps, et d’information, vous ferez sans doute comme la plupart des intervenants, votre reddition de compte en vous fiant sur les résultats qui sont les plus visibles et les évidents. Vous mettrez de l’avant le volume de dossiers générés, plutôt que votre impact dans ces dossiers.

Mais si vous réussissez à transformer ces boites noires en boite transparente, vous serez en mesure repérer les parties qui fonctionnent moins bien et d’améliorer la performance grâce à de la formation, du travail d’équipe et une meilleure précision des attentes et des conditions de réussite. Quand vous réussissez à ouvrir toutes ces boites, à les comparer entre elles, où avec des boites d’autres organisations, vous disposerez tout à coup d’une foule d’information pour créer une expérience client exceptionnelle, mais aussi davantage de mobilisation.

À défaut de référentiels clairs, les intervenants les plus performants adoptent une approche à plusieurs volets pour mesurer ce qu’elles peuvent et, en l’absence de données fiables, s’appuient sinon sur des études de cas étayées par une analyse rigoureuse.

Accroitre la performance et l’impact de l’accompagnement?

Ouvrir la boite noire permet de mieux comprendre la chaine complexe des liens entre les pratiques d’accompagnement et la performance organisationnelle.  Le succès d’une organisation dépend largement de sa capacité à établir un climat de confiance et de respect entre la direction et ses employés.

À tous les niveaux organisationnels, les employés résisteront s’ils utilisent, ou sont évalués sur la base de critères jugés imprécis ou non pertinents à leur réussite.

Avant de travailler sur les critères de réussite et la mobilisation de l’équipe, les organisations doivent déterminer si elles sont sur leur X ou non. Le manque de référentiels d’accompagnement complique l’évaluation. Malgré le manque d’information, des leaders créatifs et engagés ont réussi à adopter une vision plus large de leur prestation de service, en mettant en place cinq moyens d’action :

1. Fixez les bons objectifs : élargissez la portée et les mesures du développement économique afin de refléter une compréhension plus fondamentale et holistique de la façon d’étendre votre impact et de générer des opportunités pour votre équipe et vos clients. Vous ne disposez pas des ressources pour tout faire. Vous devez prioriser. Choisissez vos cibles en fonction de l’impact et mesurez-le en constituant un tableau de bord.

2. Favorisez la croissance de l’intérieur : donner la priorité aux entreprises qui peuvent changer d’échelle, en investissant dans les écosystèmes d’innovation, le développement des marchés et d’infrastructures qui les soutiendront dans leur compétitivité. Favorisez le maillage interentreprises et la collaboration entre les acteurs de l’écosystème.

3. Stimulez le commerce: faciliter la croissance des exportations et le commerce vers d’autres marchés de manière à approfondir les spécialisations industrielles et à générer de nouveaux revenus et des investissements.

4. Investissez dans les personnes et les compétences – intégrer le développement des compétences des talents (entrepreneurs et employés) dans vos priorités de développement économique.

5. Connectez votre espace économique – catalyser la création d’un lieu économique vivant et innovant en connectant les communautés locales aux emplois, et aux opportunités de création d’entreprises. Valorisez les bons coups de votre communauté en matière de développement économique.

Le capital humain explique pourquoi une ville se développe ou décline. C’était vrai dans la ville d’Athènes antique. C’est encore vrai aujourd’hui, dans des villes comme Bangalore et la Silicon Valley. Pour en savoir plus sur l’impact du capital humain dans le développement économique, consultez le livre «Le Triomphe d’une ville».

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