Par Jean Lepage
Depuis ses débuts en 1984, et bien avant, le Cirque du Soleil me passionne. J’ai écrit sur l’histoire du Cirque. J’ai participé à la création de la TOHU et à l’implantation de son siège social dans le quartier Saint-Michel. Et ma fille y travaille en tant qu’artiste. Ma famille vit donc au rythme des succès et des échecs de cette incroyable entreprise.
Le succès du Cirque constitue en soi une démarche réussie d’effectuation entrepreneuriale.
Alors, lorsque l’École des dirigeants HEC- Montréal a annoncé la conférence de Daniel Lamarre, ex-président du Cirque, j’étais sur les rangs pour l’écouter.
Pour cette occasion spéciale, l’animateur était nul autre que Laurent Simon, expert mondial en innovation (il a donné plusieurs ateliers aux entrepreneurs de Gatineau et dans le cadre du programme G7).
Le parcours de Daniel Lamarre est en tout point exceptionnel. Fondateur de la firme de relation publique National, il a côtoyé pendant 20 ans, des grands créateurs comme Guy Laliberté, Robert Lepage, James Cameron et les Beatles. En tant que principal dirigeant du Cirque, il a contribué à mettre la créativité au service de toute l’organisation.

Daniel Lamarre nous a proposé sa propre définition de la créativité. La créativité est une façon de générer et d’arriver avec de nouvelles idées. Elle consiste à développer une solution à un problème existant, ou bien à créer de nouveaux produits ou services. Dans le cas du Cirque du Soleil, cette créativité s’exprime par de nouveaux spectacles.
Voici en rafale, quelques conseils afin d’insuffler la créativité dans votre propre organisation:
1- Faites de la créativité votre fer de lance
Vous êtes toujours à l’affût de nouvelles idées, curieux et éveillés aux nouveautés, aux nouvelles façons de faire, aux nouveaux talents, aux technologies dans votre secteur et autour de votre secteur d’activité.
Pour le Cirque c’est le monde du spectacle. Si vous étiez fabricant de jouets d’enfants, ce serait le monde des enfants. Chacun doit trouver son propre espace créatif.
2- Créez un environnement créatif et stimulant
L’environnement commence sur le terrain et non dans le confort de votre bureau. Soyez à l’écoute des réactions des clients, des fans et des employés. L’environnement créatif commence par soi, parce que c’est vous qui allez transmettre les valeurs et la raison d’être de votre organisation..
3- Rappelez constamment la raison d’être de votre organisation
Qu’est-ce qui vous motive à vous lever le matin! Et cette raison d’être doit être claire pour vous et vos employés. Guy Laliberté a chargé le clown Madame Zazou de suivre Daniel Lamarre partout et le tournait en dérision pendant ses réunions de travail. C’était plus qu’un clown, c’était un symbole! Il ne recommande pas aux gestionnaires d’engager un clown, mais de trouver un symbole qui vous convient, qui vous rappelle tous les jours votre raison d’être. Ce point est relié au deuxième conseil sur l’environnement créatif.
Cela me rappelle ce qu’un entrepreneur expérimenté m’avait dit un jour: «Ne jamais prendre pour acquis que les gens ont compris la première fois que vous leur dites. Il faut répéter, répéter et répéter encore!». Il faut donc faire vivre la raison d’être au quotidien.
4- Embarquez des gens qui pensent différemment
Les collisions d’idées favorisent les débats. Ce qui constitue en quelque sorte le carburant de la créativité. La collision d’idées, c’est embaucher des employés qui pensent différemment de vous. C’est aussi d’accepter de se faire «challenger», parce qu’aucun dirigeant ne possède la science infuse. Il faut de l’humilité pour le reconnaître!
5- Investissez dans la recherche et le développement
La recherche et le développement occupe une place majeure au Cirque. Dans une entrevue à la Factry, Daniel Lamarre mentionne: «On est continuellement à l’affût des nouveautés: idées, technologies, artistes, décors, tendances musicales, etc. Les gens nous disent souvent: «Pour vous, c’est facile d’être créatifs, vous êtes une boite de créateurs.» C’est vrai, c’est probablement plus facile qu’ailleurs. Sauf qu’on pourrait aussi se reposer sur nos lauriers, et arrêter d’innover».
Daniel Lamarre mentionne qu’un jour, un employé arrive dans son bureau pour l’informer que le cirque suisse Knie utilisait des drones dans ses spectacles. Il lui dit alors: «Qu’est-ce que tu fais encore dans mon bureau? Pars, va voir les drones!». La R et D c’est aussi d’être ouvert aux idées, d’inciter à s’impliquer, de supporter les employés. C’est donner à la créativité, la permission d’exister.
6- Mobiliser tous les employés pour innover
Les 5000 employés du Cirque, c’est 10 000 yeux et 10 000 oreilles à l’écoute des nouvelles idées et des tendances. C’est aussi être clair dans le type d’idées que vous cherchez. Il faut encourager les employés à soumettre des idées recevables. Même lorsqu’il est question de créativité, il faut être rigoureux dans le processus de sélection des idées.
Si vous n’innovez pas, vous allez vite vous faire dépasser. Si Kodak a disparu de la carte, c’est parce que l’entreprise a nié que le numérique finirait par occuper tout le marché. Ce refus de créativité l’a amené à sa perte, et au déclin de toute la région de Rochester.
Les leaders de demain seront davantage ouverts à la créativité, impliqueront les employés, tout en demeurant humbles. Voici en rafale six conseils en rafale pour devenir des leaders innovateurs de demain:
- Embrassez l’innovation! Le monde change et ne vous attendra pas!
- Soyez courageux. Du courage, c’est l’audace de prendre des décisions qui rendent les mains moites.
- Portez le casque d’un explorateur. C’est ce que Elon Musk a fait à la fin d’un spectacle du Cirque auquel il avait assisté. Même si ce n’est pas son monde, il est demeuré deux heures après le spectacle avec l’équipe du cirque afin d’en apprendre davantage sur ce monde qu’il ne connaissait pas. Et vous, qu’est-ce qui pique votre curiosité?
- Écoutez votre petite voix intérieure. Suivez votre intuition! Elle est toujours de bon conseil.
- Donnez à vous et à votre équipe une vraie raison d’être. Vous êtes en mission, quelle est la vôtre!
- Trouvez un défi créatif. Toutes les entreprises peuvent en avoir un, même les plus traditionnelles. Pensez à un défi audacieux qui fera évoluer votre entreprise!
Fort de l’expérience acquise en tant que dirigeant du Cirque, voici ce qu’il ferait différemment s’il se joignait aujourd’hui au Cirque. Écouter, consulter beaucoup et se faire confiance. Le dirigeant est imputable, c’est à lui à mettre en place les conditions de réussite et le seul à prendre le blâme si quelque chose tournait mal. Il mentionne aussi d’être toujours près du produit, pour évaluer ce qui marche ou pas, pour identifier les lacunes, et sonder le niveau de satisfaction des spectateurs. Le Cirque sonde régulièrement ses fans et mesure le NPS.
De plus, il mentionne de ne pas se fixer de limites et d’être très clair sur ce que l’on veut. Le succès n’arrive pas de lui-même. Il faut travailler fort pour l’obtenir. D’où l’importance de se mettre constamment en action. Tout ce que vous désirez dans cinq ans n’arrivera pas si vous ne faites rien aujourd’hui pour le faire progresser.
Je me rappelle que Saras V. Sarasvathy, à qui on doit l’effectuation, disait: «fais ce qui est faisable, puis pousse-le pour le faire progresser. Et pousse-le encore plus loin». Daniel Lamarre a toujours été dans l’action. C’est un vrai praticien.
Enfin, il faut instaurer un climat permettant les débats d’idées et les saines discussions. Il faut que les meilleures solutions gagnent et non des débats «politically correct». La hiérarchie n’a pas sa place. Les idées sont les vedettes, et non les individus. Afin d’établir un tel climat, le dirigeant doit avoir confiance en lui. Il ne doit pas avoir peur de se faire challenger. Je vous conseille la lecture du livre «Les cinq dysfonctions d’une équipe» de Patrick Lencioni, en particulier le deuxième niveau de dysfonction.

Lorsqu’on innove, l’échec est inévitable. Même si on doit tout tenter pour l’éviter. Le Cirque a une bonne dose d’échecs, comme le spectacle Banana Shpeel, que l’on qualifiait de «froid, chaotique et cacophonique», d’un «désordre incompréhensible», de «clowns vulgaires et antipathiques». Plutôt que tenter de trouver le bouc émissaire, les échecs sont des sources inestimables d’apprentissage. Tout aussi bien de le célébrer afin de toujours s’en souvenir. Si vous n’êtes pas prêt à échouer, vous n’êtes jamais prêt à apprendre.
Pour faire une grande entreprise, tout doit transpirer sa raison d’être. Je retiens qu’il n’y a pas de recette magique qu’il faut suivre pas à pas. La créativité est intuitive, peut venir de partout. La quête de la créativité est parsemée d’essais, d’erreurs et d’incertitude. Si tout le monde comprend et endosse la cause, tu ne peux que réussir.
En tant que praticien, œuvrant depuis presque 40 ans dans le développement économique, je comprends davantage pourquoi la raison d’être est l’assise de tout. Même dans notre métier de développeur économique. La créativité doit être toujours au cœur de nos stratégies de développement. En tant que professionnels, nous aurions avantage à nous servir de créativité collective pour nous renouveler, et créer notre propre terrain de jeu. Nous serions aussi en meilleure position pour outiller les entrepreneurs afin qu’ils innovent davantage.
Dès que la raison d’être est claire, la créativité la fera vivre et évoluer. Le dirigeant doit apprendre à manœuvrer sur la ligne très mince entre générer de nouvelles idées et mobiliser les bonnes ressources de façon rentable. Il est un équilibriste. C’est pourquoi je vous recommande le livre l’Équilibriste: performez grâce à votre créativité de Daniel Lamarre.
