C’est quoi au juste le Linkki?

Par Jean Lepage, développeur économique

Plusieurs MRC au Québec utilisent Linkki Solution pour développer leur territoire. C’est un outil de croissance stratégique qui permet d’identifier des opportunités d’affaires et de marchés. Linkki Solution est une marque déposée de MCD inc. ID Gatineau est un des premiers au Québec à l’utiliser.

Linkki est un Saas qui fournit des données, afin que les services de développement économique, tels qu’ID Gatineau, puissent développer une stratégie de développement économique spécifiquement pour le secteur manufacturier. Négligé pendant longtemps, les acteurs économiques réalisent aujourd’hui que le secteur manufacturier génère un impact économique inégalé sur leur territoire. Les économies qui ont un secteur manufacturier plus développé ont, en général, un niveau de vie plus élevé.

Traditionnellement, les stratégies de développement manufacturier développées par les grandes firmes de consultation misent sur les forces et les faiblesses d’un territoire, ainsi que les tendances économiques à venir. Je sors souvent déçu d’un tel exercice, parce que le portrait qui en découle est trop général ou les données recueillies ne permettent pas une action très proche du terrain.

Linkki Solution s’appuie sur des métadonnées, dont plusieurs n’existaient pas il y a 10 ans.  Linkki utilise des bases de données provenant de l’Observatoire sur la complexité économique, de Statistiques Canada, de Statistiques Québec, du CRIQ, d’IMT en ligne, afin de faire le portrait fiable, et complet du secteur manufacturier de votre territoire. Pour y arriver, MCD organise aussi des séances de travail avec les acteurs économiques, et valide l’information recueillie directement auprès des entreprises. Cela simplifie grandement le travail des développeurs économiques.

Avec Linkki Solution, le développeur économique a accès à un jeu de données impressionnant et de grande qualité afin qu’il ait une excellente lecture du secteur manufacturier, des produits qui y sont fabriqués, des marchés, des liens entre les entreprises de son territoire et des pistes réalistes de développement.

Le pilier de Linkki, est constitué des travaux du Dr Hausmann de l’Université Harvard ainsi que le Dr Hidalgo du MIT. Ils ont démontré une relation entre le niveau de complexité et de diversité des produits fabriqués, et la création de richesse d’un territoire (une ville, une région, une province, un pays). Plus il y a de diversité, de complexité et d’unicité des produits, plus le territoire sera riche et prospère. C’est ce que démontre l’indice de complexité économiquement (ICÉ) qui est calculé pour 250 pays. La complexité économique est en corrélation avec une des mesures de richesse, le PIB par habitant.  L’ensemble des données sont disponibles à l’Observatoire sur la complexité économique (OEC).

À titre d’exemple, en 2020 l’ICÉ du Japon était de 2.19 (1e au classement), des États-Unis était de 1.56 (9e) et celui du Canada de .93 (29e). L’échelle de l’indice de complexité se situe généralement entre +3 et -3. Le ICÉ du Québec n’est de .02. Toutefois, l’indice ne prend pas en compte le commerce entre les provinces. Il est peut-être sous-évalué.

L’OEC contient aussi les données de 6 000 produits. Ce qui lui permet de calculer l’indice de complexité des produits (ICP) pour chacun de ces produits. En 2020, les machines à tailler les engrenages étaient les plus complexes à fabriquer (ICP 2,66) tandis que la fabrication de buches de bois exotiques est la moins complexe (ICP -3,221) et requiert peu de savoir-faire. Comme pour l’ICÉ, l’échelle de l’indice de complexité des produits (ICP) se situe entre +3 et -3. Zéro étant la moyenne des 6 000 produits. C’est cet indice que l’on utilise pour analyser les produits fabriqués sur un territoire. Depuis peu, les données sur la complexité sont aussi disponibles pour certains services, comme le secteur des technologies de l’information, le transport, le tourisme et les services financiers.

Ainsi, les entreprises qui produisent des biens complexes (ICP >0) apporteront davantage de richesse au territoire, si celui-ci possède déjà une bonne diversité économique. Les entreprises qui produisent des biens moins complexes, tels que ceux du secteur des fèves de cacao, n’apporteront pas de richesse supplémentaire dans un territoire, si celui-ci possède déjà une bonne diversité dans ce secteur.

Ce qui est applicable au niveau mondial l’est également à l’échelle d’un territoire et même d’une entreprise. Pour Gatineau, nous nous sommes concentrés sur les entreprises manufacturières de 5 employés et plus (environ 126 entreprises au début du projet).

Le travail réalisé par MCD ne touche pas seulement la complexité des produits fabriqués sur notre territoire, mais tient aussi compte des liens entre ces entreprises (que l’on peut voir sur une carte), ainsi que de l’avantage comparatif révélé (RCA) du Canada. Le RCA est une mesure indiquant si un pays est un exportateur d’un produit, basée sur l’avantage ou le désavantage relatif par rapport aux autres pays. Autrement dire, est-ce que le pays est réputé pour exporter ce produit.

Dans sa stratégie, ID Gatineau a priorisé les produits avec un ICP > 0 et un RCA >1 et ce pour la majorité des groupes industriels présents sur le territoire. Selon les priorités régionales, nous avons établi des critères particuliers (taille du marché adressable 100 millions $ et plus et un ICP plus élevé) pour certains secteurs comme la fabrication de produits de construction et la fabrication de machines. Dépendant des services achetés à MCD, une démarche Linkki revient entre 350$ et 500$ par entreprise.

Pour ID Gatineau, les livrables d’MCD ont été les suivants :

  1. Rapport de la cartographie actuelle du territoire, qui permet de déterminer l’état de la situation du territoire en termes de diversité et de complexité des produits afin de prévoir un développement de la production de biens à fortes valeurs ajoutées;
  2. Rapport de la cartographie future pour faire un développement économique en lien avec les compétences productives du territoire;
  3. Un bottin de prospection afin de faire de l’attraction ciblée, en collaboration avec Investissement Québec.
  4. Des études d’opportunité de marché, afin d’amener les entreprises à fabriquer des produits plus complexes. J’ai testé moi-même l’efficacité de cet outil. La rétroaction des clients est excellente.

De plus, ID Gatineau a utilisé les services de MCD, pour un projet pilote en innovation de nouveau produit pour la production de biens à fort potentiel de marchés et d’exportation. Il a aussi financé des études d’opportunité plus poussées pour les clients les plus motivés à fabriquer de nouveaux produits.

Les critiques de la complexité économique des économies

Les principales critiques soulevées par les experts, au sujet des travaux de Hausmann et Hidalgo sont les suivantes :

  1. Le manque de clarté quant à la mesure de la complexité économique. Les calculs sont compliqués. Je ne suis pas un mathématicien. Je suis un développeur économique. En fin de compte, ce que je recherche, c’est comment l’appliquer. C’est pas toujours facile.
  2. La difficulté à établir un lien direct entre la complexité économique et la croissance économique.
  3. Le fait que cette approche ne prend pas en compte des facteurs culturels et institutionnels qui peuvent influencer la croissance économique.
  4. Certaines critiques estiment que cette approche peut donner des résultats trompeurs, car elle ne prend pas en compte les facteurs macroéconomiques, comme le taux d’inflation, le manque de productivité ou l’impact sur l’environnement.
  5. Il est difficile de mesurer les facteurs de complexité qui ont été utilisés dans les études de Hausmann et Hidalgo.
  6. L’analyse des produits manque de détail. Elle est limitée au code SH à 6 chiffres, de l’espace productif. À titre d’exemple, si on applique le code SH aux chevaux, le code SH4 de «Chevaux, ânes, mulets et bardots vivants» est 01.01, le code SH6 de «Chevaux – Autres» est 0101.29. Mais si on désire avoir plus de précision, le code SH8 de «Chevaux – De course»» est 0101.29.10.
  7. L’indice de complexité des produits (ICP) a été conçu spécifiquement pour évaluer la complexité d’une économie et non pour venir en aide aux entreprises. Un effort d’adaptation est nécessaire. Linkki amène les données plus proches du terrain. Toutefois, les développeurs économiques doivent les faire vivre, en les amenant de la bonne façon, à la bonne entreprise.
  8. Certains produits sont proches de d’autres, parce qu’ils utilisent des facteurs de production similaires. Si un pays fabrique des voitures, il y a de fortes chances qu’il fabrique aussi des pièces de voiture. D’autres produits sont plus distants des uns des autres. Par exemple, si un pays produit du liège, il n’a peut-être pas ce qu’il faut pour fabriquer des voitures. Selon Hausmann et Hidalgo, ce déplacement se fait progressivement en « sautant » de la fabrication d’un type de produit à un autre type de produit proche dans l’espace productif d’un pays. Ce principe fondamental, qui est repris par Linkki dans sa cartographie, demande du temps pour le maitriser.

Les critiques de Linkki Solution

Mis à part les questions de coûts et de dépendance à un seul fournisseur (cette expertise est unique au monde), Linkki nécessite un effort soutenu et quasi quotidien de la part des développeurs économiques. C’est le cas de toutes nouvelles approches. Les résultats à court terme et à moyen terme sont difficiles à cerner rapidement, ce qui peut en décourager plus d’un. Surtout comme dit Renald, un développeur économique, il y a des «low hanging fruit» plus faciles à cueillir, que les fruits d’une longue démarche avec Linkki.

La démarche ne convainc pas tous les entrepreneurs, qui peinent à juger sa pleine valeur. Faites en sorte que vos clients disent non à Linkki parce que la démarche ne s’applique pas à eux. Et non parce qu’ils ne comprennent pas Linkki. Les communications efficaces sont essentielles au succès de Linkki.

Garder le cap sur la démarche Linkki n’est pas facile. Puisque les priorités du développeur économique sont appelées à changer rapidement. Un nouveau programme, une fermeture d’entreprise, une pandémie, une nouvelle implantation, il y a une foule d’évènements qui peuvent faire bousculer les priorités.

Linkki n’est pas conçu pour travailler un produit selon sa nomenclature ou sa chaine de valeur. L’approvisionnement local, c’est l’occasion de faire des maillages interentreprises, un savoir-faire particulier des développeurs économiques. Les maillages réussis sont tangibles, ont beaucoup d’impact et sont plus faciles à réaliser.

Les entreprises d’un territoire appartiennent toutes à des écosystèmes. Ces écosystèmes couvrent souvent plus d’un territoire. Les services de développement économique n’ont pas les ressources pour faire la cartographie de l’ensemble de ces écosystèmes. Par exemple, plusieurs entreprises de Gatineau sont connectées avec celles d’Ottawa. Faire une cartographie pour 126 entreprises est une chose, mais en faire une pour 1000 entreprises est une tout autre chose. On voit quelques services de développement économique qui combinent leurs données afin d’avoir un plus grand portrait. C’est une excellente approche, parce que cela permet de découvrir des occasions de travailler collectivement auprès des entreprises.

Une autre préoccupation concerne le niveau de détail des données. La cartographie produite par MCD est basée sur le code SH4. Les rapports actuels et futurs permettent d’aller plus loin, jusqu’au code SH6. Plusieurs développeurs économiques pensent que ce n’est pas encore assez précis. Il faudrait aller vers le code SH8. Pour ma part, je crois que les outils développés par MDC, sont suffisants pour avoir une conversation de haut niveau avec les entreprises.

D’autres préoccupations reviennent à l’occasion. Des développeurs économiques se questionnent sur la qualification des entreprises (entreprises de petites tailles, ne sont plus en opération ou ne sont pas des manufacturiers sérieux), la volonté réelle des entrepreneurs (ils ont d’autres priorités), la masse critique d’un territoire pour amorcer une telle approche et enfin le manque d’histoires à succès pour expliquer et convaincre les entreprises. Ce qui crée en quelque sorte le paradoxe de l’œuf et de la poule. Encore ici, le savoir-faire du développeur économique et sa connaissance fine du territoire peuvent faire une différence.

Alors, on achète ou pas?

Linkki est un indicateur d’opportunités efficace pour les entreprises. Il sert à guider les développeurs économiques et les entrepreneurs vers les opportunités qui ont le plus de potentiel. Ce n’est pas une étude de marché. L’outil est dans l’esprit du développeur économique 4.0 : un créateur d’opportunités, tel que présenté par notre ami Jocelyn d’Espace Stratégies.

ID Gatineau avait identifié un ou plusieurs opportunités pour la moitié (59) des entreprises du territoire. Quelque 14 entreprises avaient refusé de participer à l’approche Linkki et c’est bien correct. Les essais et les erreurs font partie de la démarche d’apprentissage, surtout lorsqu’on fait figure de pionnier. Parce qu’en fin de compte, le livre de recettes s’inventait au fur et à mesure des actions.

Linkki a plusieurs avantages. Il permet à une équipe d’avoir une compréhension commune du territoire, de développer une approche d’accompagnement unifiée, et surtout, il suscite de nouvelles compétences.

Personnellement, cela faisait longtemps que je n’avais pas vu un outil qui offre autant de potentiel de développement. Si vous voulez aller plus loin, voici mes trois conseils :

 

1-     Faites vos devoirs. Faites vos recherches avant de vous lancer dans une approche Linkki. Les concepts autour de la complexité économique nécessitent une appropriation. Comme le nom le dit, ils sont complexes à maitriser.

2-     Cela prend du temps pour se familiariser avec un nouvel outil et se donner confiance. Lorsqu’on se lance dans une telle initiative, il faut arrêter de faire quelque chose et commencer à faire quelque chose de nouveau. Les gestionnaires doivent dégager du temps afin de permettre aux équipes de s’approprier l’outil, et d’apprendre ensemble.

3-     Enfin, les ressources dont disposent les services de développement économique sont limitées. Mais si vous en avez les moyens, créez une petite équipe tactique d’intervention Linkki qui a le mandat, la responsabilité et la compétence pour mener à bien ce projet. Idéalement, cette équipe, qui devra être embauchée et formée pour faire ce travail, et construite pour être dissoute, dès que le travail est effectué.

Pour terminer, Linkki est une technologie. Comme le mentionne Ricardo Hausmann de l’Observatoire sur la complexité économique, une technologie est composée d’outils, de codes et de savoir-faire. L’outil peut être accessible sur le web, comme le Saas de Linkki Solution. On peut rédiger des manuels d’instruction et former une équipe. Mais déployer un savoir-faire, c’est plus compliqué. Développer une expertise prend du temps. Il faut donc se laisser du temps.

 

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