Économie du beignet : pour entreprendre autrement

Q&R à l’intention des relayeurs

Par Jean Lepage

jeantriski@hotmail.com

Le 16 mai dernier, j’ai offert une formation pour développer ou repenser le modèle d’affaires tout en respectant les limites planétaires et les besoins humains.

Cette formation était particulièrement d’intérêt pour les gens d’affaires de tous les secteurs d’activité soucieux de réduire leurs coûts de production et d’optimiser leur chaîne d’approvisionnement tout en réduisant leur empreinte écologique

Développée en 2012 par Kate Raworth, une économiste et éditorialiste britannique, l’économie du beignet consiste à repenser l’économie en proposant un modèle plus juste et plus durable basé sur la satisfaction des besoins de base des individus, sans dépasser les neuf limites écologiques de la planète énoncées par l’ONU.

Plusieurs développeurs économiques étaient présents et ont soulevé des questions concernaient l’accompagnement des entrepreneurs à travers l’économie du beignet. Voici quelques réponses à leurs questions:

Dans quelles mesures les entrepreneurs peuvent-ils agir seuls ou ont-ils besoin de l’aide de ressources externes ?

Chaque entreprise est différente, tout comme chaque niveau de réponses face au modèle du beignet (comme nous l’avons vu dans la conférence, il y en a cinq).  Certaines peuvent faire seules la réflexion, tandis que d’autres ont besoin d’être guidées. Quoi qu’il en soit, il est important qu’elles connaissent toute l’aide disponible afin de les aider à faire les bons choix.

À mon avis, les entreprises auront de plus en plus de difficulté à trouver les bonnes ressources parce que nous assisterons prochainement à une explosion des offres en service-conseil, des organismes et des programmes. Les entreprises risquent de s’y perdre. Il faut constituer un service d’accompagnement neutre, qui connait bien l’écosystème des acteurs, pour bien les aiguiller et mieux les accompagner.

Peut-on inciter les entreprises à embarquer dans l’économie du beignet ?

Indirectement, oui! Je pense qu’on peut sensibiliser les entreprises, et les tenir informées. Toutefois, il faut que la motivation vienne d’elles. Il est difficile de les inciter à le faire, même s’il y a de généreux incitatifs. Les premiers clients à accompagner sont ceux qui cognent à la porte du relayeur, et qui sont prêts à faire quelque chose, n’importe quoi, dans le sens du beignet.

Par quoi commencer, l’aspect social ou l’aspect environnemental ?

Les entreprises doivent commencer quelque part, par ce qui les motive en premier. Soit l’aspect social, environnemental ou les deux. C’est souvent un premier projet facile et réussi qui stimulera une entreprise à poursuivre. C’est ce que nous avons vu avec les projets de type Industrie 4.0. D’après moi, je doute qu’une entreprise vise un redesign complet (un «deep design») du modèle d’affaires avant d’avoir fait sa main sur quelques projets. Je vous rappelle que le développement ESG de Patagonia s’est bonifié sur plusieurs années.

Dans le cas d’une nouvelle entreprise, une startup innovante par exemple, c’est autre chose. Elle peut déjà se lancer dans le «Deep design» parce qu’elle est à l’étape de formuler et de valider son modèle d’affaires. Elle est sur une page blanche.

Enfin, il n’y a pas de raison qui empêche des travailleurs autonomes d’adopter aussi des actions dans le sens de l’économie du beignet.

Est-ce que la productivité est en opposition avec l’esprit du beignet ?

Non! Tous deux sont compatibles. La productivité peut être un premier projet qui respecte l’esprit du beignet. La productivité, c’est l’efficacité de l’utilisation des ressources pour produire un bien de manière compétitive. C’est aussi un indicateur de performance. Elle implique des facteurs comme la lutte au gaspillage, à la perte de temps et au manque de qualité. Il peut impliquer aussi de passer en revue les processus actuels, de rechercher de meilleures sources d’approvisionnement, d’adopter une approche d’amélioration continue et d’améliorer les compétences des employés. Tous ces aspects peuvent être développés dans l’esprit du beignet.

Dans quelle mesure l’économie du beignet est-elle compatible avec le capitalisme ?

Le mantra du capitalisme souligne que l’efficacité et la croissance à tout prix constituent le plan de développement économique le plus efficace. Le modèle d’offre et de demande du capitalisme actuel est, si nous continuons simplement à fabriquer plus de choses et à les rendre moins chères aux dépens de ceux qui n’ont pas voix au chapitre, alors que les gens achèteront plus et les bénéfices augmenteront.

De plus en plus d’entreprises comme Ola Bamboo ou Patagonia refusent cette définition du capitalisme, et désirent faire une brèche dans cet univers capitaliste. C’est ce qui se dessine dans le GEM qui montre que plus de la moitié des entrepreneurs québécois (51,8 %) priorisent l’environnement et les dimensions sociales dans leur entreprise avant la croissance et la profitabilité.

J’avais aussi mentionné les cinq réactions communes des entreprises relativement au modèle du beignet. Ce n’est qu’une question de temps pour que les entreprises soient obligées d’adopter des actions plus ESG sous peine de voir leurs financements pénalisés, leurs primes d’assurance augmentées, ou même perdre des clients.  

Enfin, je rappelle que l’entreprise sociale (et non une entreprise en économie sociale) doit trouver des façons de poursuivre sa mission, tout en faisant des profits.

Ma seule réserve est au niveau des conditions économiques des entreprises qui tendent à se détériorer. De plus en plus de PME entrent en mode survie, et une récession pourrait freiner leur transformation.

Est-ce que qu’il y a d’autres entreprises québécoises qui sont dans l’esprit de l’économie du Beignet ?

Oui! On peut en compter des centaines. La plupart des entreprises certifiées B-Corp le sont, tout comme la plupart des entreprises membres de l’Association québécoise Zéro Déchet (AQZD). Toutes les entreprises qui font une démarche de certification Ecolabel ou ISO 14 000 sont de bonnes candidates. Adhérer à une certification en accord avec la raison d’être constitue une bonne pratique pour se lancer dans l’économie du beignet.

Comment accélérer la «beignetisation» des entreprises- Approche Babson

 S’il faut «tout un village pour élever un enfant», il faut tout un écosystème pour accélérer la transition vers une économie plus juste et plus durable.

Étant donné que le redesign de l’entreprise est dans une grande mesure une récompense en soi, les incitatifs directs (allègements fiscaux, crédits providentiels, garanties de prêts aux petites entreprises) sont à la fois coûteux et en fait, viennent souvent pervertir les résultats. Les « incitatifs indirects » (valorisation des succès locaux, formation de pointe, activités de réseautage…) ont beaucoup plus d’impact. Il est cependant possible de créer un effet boule de neige. L’approche Babson vise à stimuler le développement de l’écosystème tout en accélérant le développement des entreprises vers un modèle d’affaires plus juste, et plus durable. L’approche Babson vise à intervenir sur quatre niveaux :

Niveau 1 – Soutenir les entreprises locales afin qu’ils obtiennent des gains rapides; par de l’accompagnement, les réseaux express, la formation et la mise en place de programmes – cohorte. Les relayeurs peuvent utiliser des outils comme le «Deep Design», faciliter le transfert d’expertises entre pairs, impliquer les acteurs de l’écosystème et célébrer les succès;

Niveau 2 – Communiquer à la communauté d’affaires les succès des entreprises locales dans la mise en place d’initiatives «beignet» afin de créer un effet d’entrainement sur les autres entreprises et mobiliser les acteurs;  

Niveau 3 – Engager les membres de l’écosystème dans le but d’investir ensemble plus de ressources afin de soutenir les entreprises pour qu’elles créent de la valeur pour la société et l’environnement;

Niveau 4 – Renforcer la gouvernance de l’écosystème, l’exécution et les capacités professionnelles et la pérennité des actions.  

Comment faire en sorte que les gens participent tous à la richesse ?

Il y a plein de théories à ce sujet. Nous savons tous que les économies qui sont les moins bien gouvernées sont généralement les plus pauvres.

Mais cela n’explique pas tout. Il faut d’autres ingrédients. Parce que la richesse s’exerce aussi à plus petite échelle, à l’échelle d’une province, d’une ville ou même d’une entreprise.

Donc, avec la même constitution, les mêmes lois, les mêmes conditions économiques, il y a une grande différence de richesses entre Tequila et Nuevo Leon, deux états du Mexique. Entre deux villes de taille similaire, située dans la même province. Ou même entre deux entreprises de même taille, qui opèrent dans le même secteur d’activité

Pourquoi cette différence de richesse ? Parce que les gens fabriquent des produits plus efficacement que les autres ? Parce qu’on utilise davantage de main-d’œuvre ? On utilise plus d’espace ? Plus de capitaux ? Ou parce que les gens ont plus d’éducation ?

La différence de richesse est une question de technologies. Une technologie est composée de trois choses, 1- des outils pour faire les choses, 2- de beaucoup de savoir-faire (ou d’expertise) et 3- de connaissances codifiées pour transmettre la technologie et la faire voyager.

Aujourd’hui, on peut mettre les outils dans des conteneurs, et les expédier rapidement au Soudan du Sud. Les connaissances codifiées peuvent être transmises plus rapidement à travers le web. Mais ce pays est quand même parmi les plus pauvres au monde.

Si ce n’était qu’une question d’outils et de connaissances codifiées, il n’y aurait plus de pauvreté depuis longtemps. Pour expliquer la différence de richesse, implanter une technologie nécessite de l’expertise. Une grande variété d’expertise!

L’économie du beignet est une nouvelle technologie. Elle nécessite de nouvelles expertises. Selon Hausmann et al. (2011), le processus du développement économique implique une accumulation des capacités productives qui permettent à un pays de produire une diversité́ de biens de plus en plus complexes. Je vous invite à visiter le site https://oec.world à ce sujet. Aujourd’hui on voit clairement l’association entre la complexité économique et ouverture des marchés pour des produits verts.

 

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