Par Jean Lepage
Des lignes de production aux paniers d’achats, en passant par les déclarations environnementales alléchantes et les étiquettes de certification plus vertes et équitables, les produits écoresponsables font maintenant partie de notre quotidien.
Le 16 mai dernier, j’ai offert une formation sur l’économie du beignet pour développer un modèle d’affaires, tout en respectant les limites planétaires et les besoins humains. C’était une occasion unique pour les entrepreneurs de se familiariser avec le concept et les outils de l’économie du beignet.
Développée en 2012 par Kate Raworth, une économiste et éditorialiste britannique, l’économie du beignet consiste à repenser l’économie en proposant un modèle basé sur la satisfaction des besoins de base des individus, sans dépasser les neuf limites écologiques de la planète énoncées par l’ONU. En fin de compte, l’économie du beignet constitue une boussole pour la société, tout comme pour les entreprises.

Image: Wiedmann, T., Lenzen, M., Keyßer, L.T. et al.
Les participants à la formation m’avaient posé de nombreuses questions sur les façons de créer de la valeur avec des produits écoresponsables. L’étude de Deloitte publiée en juin 2023, intitulée « Créer de la valeur à partir de produits durables » répond en partie à cette question. Deloitte a sondé des chefs d’entreprise et des consommateurs, afin d’explorer la manière dont les entreprises peuvent renforcer la confiance des consommateurs.
Les produits écoresponsables sont entrés dans nos quotidiens, mais leurs prétentions suscitent aussi beaucoup de méfiance. Voici les grandes lignes de l’étude de Deloitte:
Oui aux produits écoresponsables, mais pas à n’importe quel prix
La marque, le prix et la taille demeurent les critères les plus importants, au moment de procéder à l’achat d’un produit écoresponsable. Et ce l’est encore davantage depuis les hausses vertigineuses des prix que nous avons connus au cours des dernières années.
Si en pleine pandémie, près d’un Canadien sur deux disait « avoir acheté au moins un bien ou un service durable» (ce qui est insuffisant pour sauver la planète), la proportion n’était plus que de 37 %, en mars 2023.
Dans toutes les tranches d’âge et pour tous les niveaux de revenus, c’est le prix qui est cité comme principal critère d’achat d’un produit écoresponsable. Toutefois, à produit égal, six clients sur dix (62 %) se disent prêts à payer une prime pouvant aller jusqu’à 20 % pour se procurer des produits écoresponsables. Passer ce pourcentage, les produits écoresponsables sont considérés comme étant hors de prix. Les entreprises doivent donc s’assurer que leurs prix demeurent concurrentiels.
Les consommateurs se méfient des prétentions des entreprises
Parmi la grande variété de certifications vertes, carbo neutres ou équitables, les consommateurs se méfient des prétentions des entreprises qui pullulent dans les étalages des magasins, car il est difficile de s’y retrouver. Les récents cas d’écoblanchiment dénoncés dans les médias – rendent incrédules un bon nombre de consommateurs. En fait, 57 % des consommateurs canadiens ne croient pas la plupart des revendications des entreprises.
En revanche, si une entreprise fait de l’éco conception, mais que la symbolique du produit n’explique pas clairement qu’il fait, elle ratera une occasion de faciliter son achat. Elle doit amener plus de clarté et de pertinence dans son message.
Les consommateurs recherchent la facilité
Cela dit, six Canadiens sur dix (60 %) estiment qu’ils ne devraient pas avoir à se casser la tête pour décider si un produit est plus vert qu’un autre. En gros, un consommateur peut dire non à un produit parce que l’offre ne correspond pas à ses besoins. Mais s’il n’achète pas le produit parce qu’il ne le comprend pas, c’est à l’entreprise que revient la faute.
Enfin, une forte proportion de Canadiens (94 %) croit « qu’il est de la responsabilité d’une marque de créer des produits qui ne nuisent pas à la Terre ». C’est aux entreprises l’ultime responsabilité d’offrir des produits qui répondent clairement à cet enjeu.
La transparence et l’authenticité de la part des entreprises sont des enjeux stratégiques. Elles doivent engager leur responsabilité et se commettre entièrement dans la voie de l’écoresponsabilité, non pas seulement dans la conception de leurs produits, mais dans l’entreprise entière, comme Patagonia le fait. Ce changement profond doit percoler dans cinq dimensions: pourquoi l’entreprise fait cela ? Comment elle transige avec ses employés, ses clients, ses fournisseurs et ses alliés ? Comment l’entreprise est gouvernée ? Comment est-elle contrôlée ? Et en dernier comment est-elle financée ? C’est ce que les adeptes de l’économie du beignet appellent le «deep design».
Le «Deep Design» fait écho chez les consommateurs puisque lorsque l’écoresponsabilité fait partie de la mission même d’une organisation, qui propose une approche globale et un message concerté, elle gagne leur loyauté. Les consommateurs vont être plus fidèles à une marque une fois qu’ils la savent engagée. Et ils vont payer plus cher pour ses produits.
Pour terminer, les entreprises ont fort à faire puisque l’enquête de Deloitte révèle que les consommateurs et les chefs d’entreprise ont deux perceptions opposées des produits écoresponsables. Malgré le scepticisme soulevé du côté des consommateurs (57 % ne croient pas aux allégations des entreprises), 71 % des chefs d’entreprise ayant participé à la recherche estiment que le public a un niveau de confiance important en leurs allégations durables. Il faut donc plus d’homogénéité, de preuves et de clarté dans le message. Chaque entreprise fait la promotion de choses différentes à différents niveaux et les consommateurs sont confus. Et un consommateur confus n’achète pas.
Le jeu en vaut-il la chandelle pour les industriels et autres fournisseurs ? Pas nécessairement pour tous!
Bien que la majorité des entreprises aient envisagé la possibilité de développer des produits écoresponsables (et que 81 % d’entre eux l’aient déjà fait), le coût de l’éco conception est aussi plus élevé. Toutefois, plusieurs études démontrent que les marges bénéficiaires sont aussi plus élevées. Ce qui est un plus pour les entreprises intéressées d’emprunter cette voie.
Les perceptions de la société au sujet des enjeux climatiques changent rapidement. La volonté des entreprises est là. Avec le temps, l’écoconception de produits deviendra plus facile et abordable.
Source : Créer de la valeur à partir de produits durables, Deloitte, juin 2023
Petit lexique pour s’y retrouver
Qu’est-ce que l’écoconception ?
L’écoconception ou l’éco-conception est un terme qui désigne la conception de biens ou services qui intègre la protection de l’environnement. Elle a pour but de diminuer l’empreinte environnementale des produits tout au long de leur cycle de vie.
Qu’est-ce que l’économie circulaire ?
Définis une démarche consistant à produire des biens et des services de manière
durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production
de déchets. Il s’agit de passer d’une société du tout jetable à un modèle économique plus circulaire.
L’économie circulaire repose sur 7 piliers :
- Approvisionnement durable
- Eco-conception
- Écologie industrielle et territoriale
- Économie de la fonctionnalité
- Consommation responsable
- Allongement de la durée de vie
- Fin de vie
C’est donc la notion de cycle de vie et la prise en compte de l’impact environnemental et social qui doivent être analysées et intégrées à chaque étape du projet sur toute la chaîne de valeur.
Cela peut s’appliquer à tous types de produit qu’il ait lui-même un rôle pour l’environnement dans son utilisation ou non.
Qu’est-ce qu’un produit écoresponsable ?
Il s’agit d’un produit qui a moins d’impact sur l’environnement tout au long de son cycle de vie, c’est-à-dire de l’extraction de ses matières premières à sa conception, en passant par son transport, son usage et son recyclage.
Qu’est-ce que le «deep design» ?
Le «Deep design» se concentre non pas la conception des produits et services, mais la conception de l’organisation elle-même. Comme l’a décrit Marjorie Kelly, théoricienne de premier plan dans la conception d’entreprise de nouvelle génération, il existe cinq couches clés de conception qui façonnent profondément ce qu’une organisation peut faire et devenir dans le monde : la raison d’être, ses réseaux, la gouvernance, la propriété et les finances.
Ensemble, ces cinq aspects de la conception organisationnelle façonnent profondément la capacité de toute organisation à devenir régénérative et distributive dans sa conception, et contribuent ainsi à faire entrer l’humanité dans le beignet.
