Par Jean Lepage
L’éco-conception, c’est réduire l’impact global d’un produit, de sa création à sa fin de vie. C’est aussi une méthode qui permet de réduire les impacts négatifs d’un produit, tout en augmentant ses services rendus. L’enjeu de l’éco-conception est à la fois environnemental, technique, économique et humain. La bonne pratique en matière d’éco-conception c’est de réfléchir à la meilleure façon d’y répondre.
Toutefois, avant de fabriquer un produit éco-responsable, on doit démontrer s’il est faisable et désirable. La preuve de concept (proof of concept) constitue une étape clé pour réduire drastiquement les risques et sécuriser vos investissements. Elle se réalise en amont d’un projet industriel.
Avec les startups, il existe deux mondes, celui des logiciels (software) et celui des produits physiques (hardware). Il y a beaucoup de similitudes entre ces deux mondes. Sauf au niveau des investissements requis et des risques inérents à chacun.
Dans le développement d’un logiciel, on peut faire un «CTRL Z », tout annuler et recommencer à zéro. Avec le produit «hardware», c’est plus compliqué. On peut facilement investir 50 000$ pour fabriquer un moule et tout perdre pour une petite erreur de 2 mm. Ce qui est réellement différent avec une startup industrielle, c’est l’investissement requis pour fabriquer quelque chose. Dans une startup industrielle, le «CTRL Z» n’existe pas. Les startups manufacturières peuvent cependant adopter les outils et l’approche du «lean manufacturing». Le prototypage constitue la façon de faire qui se rapproche le plus de l’agilité des développeurs de logiciel. La preuve de concept nécessite la création de prototypes.
De plus en plus de gens parlent d’éco-innovation, d’éco-conception et d’écologie d’impact. Dans mon blogue précédent, je présentais les défis de l’éco-conception. Maintenant, place à l’action! Cet article traitera des trois types de preuves de concept (POD), le POD-D, le POD-UX et le POD-T.
L’innovation et l’éco-conception sont des concepts récents. On innove depuis toujours, mais la science de l’innovation est nouvelle. En particulier, le «lean manufacturing», la méthode pour créer en accéléré un nouveau produit et le fabriquer.
Le temps de développement des grandes entreprises est généralement très long et coûteux. Tandis que les startups ont des choses intéressantes à proposer, mais n’ont souvent pas les moyens de les concrétiser. Enfin, de beaux produits, mis au point par des PME, meurent sur les étagères, faute de marché.
La preuve de concept (POC) permet de réaliser de façon concrète et préliminaire une idée, afin de démontrer sa faisabilité et sa désirabilité avant d’investir trop.
Lorsqu’on passe du prototypage, à la phase de pré-industrialisation, puis à la phase de pré-séries, chaque phase nécessite 10 X plus d’investissement.
On estime que 80 % des impacts environnementaux et 70% des coûts d’un produit sont déterminés au cours de la phase de conception initiale du produit. La preuve de concept (Proof of concept en anglais) est dans ces conditions, un allié inconditionnel de l’éco-innovation parce qu’elle réduit les risques et accroît la valeur.
Les ressources des startups industrielles sont limitées. Elles n’ont pas le droit à l’erreur. La preuve de concept diminue drastiquement l’incertitude liée à un projet industriel. Cela évite de connaitre ce que Tom Eisenmann, auteur du livre «Why startups fail », nomme les faux départs et les faux positifs (consultez mon blogue sur les causes d’échec d’une startup). Et cela fonctionne, puisque seuls 36,7% des preuves de concept sont industrialisées. Vaut mieux tuer rapidement dans l’œuf un mauvais concept et garder l’argent qui nous reste pour faire un pivot.
Afin de diminuer les risques d’un projet d’éco-innovation, on devrait considérer différents aspects d’un produit : La désirabilité, la faisabilité et la viabilité. Le prototype sert à les vérifier. La preuve de concept (POC) se matérialise de trois manières :
Le POC désirable : Comment je séduis mes premiers clients. Si on a trouvé ses premiers clients, on peut passer à la prochaine étape.
Le POC expérience : Comment je valide la bonne expérience et le bon usage pour mes premiers clients. On met le prototype dans les mains des clients, on les observe et on définit par la suite un cahier de charge. Si l’expérience est positive, alors on passe à la prochaine étape.
Le POC technique : Comment est-ce que je valide les aspects techniques. À cette phase, on gèle en quelque sorte le design, ses fonctions et ses composantes. Une fois ces trois aspects validés, on peut passer dans la phase de pré-industrialisation. Nous verrons en détail les trois types de POC. Mais avant, il faut que votre idée réponde réellement à un besoin. Sinon, vous faites une fausse piste.

Si on veut faire de l’éco-conception efficace, la première chose à faire est de répondre à un problème ardant que vivent les usagers, et ce avant même de penser à la solution. Et pour cela, il faut sortir hors du bureau pour le découvrir. Il s’agit de sortir interroger de potentiels clients, utilisateurs, acheteurs et partenaires et comprendre leurs besoins.
En as-tu vraiment besoin?
Il est facile de sur-concevoir un produit. La sur-conception n’est pas seulement un phénomène qui affecte les produits de haute technologie, comme les téléphones (on n’utilise que 20% des fonctions) et les téléviseurs intelligents. Mais elle s’applique également aux objets de tous les jours. La sur-conception est contraire à l’esprit de l’éco-conception. Elle coûte cher, utilise inutilement des ressources et crée de la confusion auprès des utilisateurs.
Prenons l’exemple d’un parapluie. J’en ai acheté des dizaines dans ma vie, parce que je les avais oubliés à la maison ou endommagés. Tous les parapluies suivent le même design: une hotte ronde soutenue par des rayons de longueur égale qui émanent d’une poignée. Bien que des améliorations aient été apportées au fil des ans pour rendre les unités plus compactes et plus faciles à utiliser, très peu de nouvelles conceptions ont été mises sur le marché.
Une exception, le parapluie de tempête aérodynamique SENZ. C’est un produit intelligemment conçu capable de résister aux vents de force d’ouragan qui provoqueraient le retournement à l’envers.
Mais, comme le répète souvent l’animateur de télévision Pierre-Yves Mc Sween «En as-tu vraiment besoin? Le parapluie SENZ ressemble à une invention merveilleuse, un couvre-pluie pour l’ère moderne, en fibre de verre et en aluminium, comparable en prix à celui d’autres parapluies haut de gamme. La promesse de performances plus élevées pour le même prix semble gagnante sur le papier, et pourtant il n’a pas réussi à livrer ses objectifs de ventes.
Quiconque a utilisé un parapluie dans des conditions venteuses peut témoigner à quel point il est ennuyeux qu’il se retourne à l’envers. Mais quiconque a confronté des vents assez forts pour retourner un parapluie robuste sait également qu’ils offrent très peu de protection contre la pluie dans ces conditions, même lorsqu’ils maintiennent leur forme.
Si le travail que les consommateurs voulaient qu’un parapluie fasse (son job-to-be-done) n’était «jamais, se retourner», le SENZ serait un produit révolutionnaire. Mais le vrai travail pour lequel les consommateurs embauchent un parapluie est, bien sûr, de rester au sec, et dans des vents très forts, ni le SENZ, ni aucun autre parapluie actuellement sur le marché ne peut faire ce travail.
Le parapluie SENZ se vend actuellement à un peu plus d’un tiers de son prix de détail initial. L’histoire du parapluie SENZ est malheureusement courante. Il y a des centaines de produits innovants qui ont été sur conçus au point de connaître un échec commercial – des solutions aux problèmes que les consommateurs ne sont pas intéressés à résoudre.
Une fois qu’on a trouvé un problème et on l’a analysé sous toutes ses coutures, c’est le temps de trouver la solution. On cherche à répondre directement au problème ardent, sans fioritures, sans superflus, en se concentrant seulement sur les fonctions du produit qui seront réellement utilisées. Mais lesquelles choisir? C’est ici que les trois POD s’avèrent très utiles. Les revoici en détail:
Le POC Désirable (POC-D)
Le POC désirable est le point de départ du processus d’éco-conception. Cette étape «GO-NoGo» est stratégique parce qu’elle vous permet de bien connaître votre clientèle cible, de comprendre ce qui la pousse à acheter et de valider le besoin réel qui l’incitera à acheter votre produit. L’objectif POC désirable est d’avoir des indicateurs de viabilité fiables. Ce qui donne vie à une idée, c’est l’importance que lui accordent les clients. Sans intérêt du marché, le produit se retrouve dans une impasse.
Est-ce que mon idée plaît ? Est-ce qu’il y a un marché qui a de l’appétit pour elle? Ces questions essentielles sont traitées dans POD désirable. Au final, l’achat prouve que le client perçoit bien la valeur de votre idée, et qu’il y a un plus grand marché à adresser.
Ce prototype (POD-D) servira d’outil de vente pour rencontrer des prospects et vérifier leur intérêt. Si vous obtenez plusieurs intentions d’achat : le projet continue. Sinon, le projet n’a pas les ce qu’il faut pour continuer et il y a une nécessité de pivot ou de l’abandonner.
Les trois outils pour construire le POD désirable sont: la structure (de quoi est-il fait?), la fonction (à quoi ça sert?) et le symbole (comment est-il perçu?). La symbolique détermine comment le produit communique par lui-même ses promesses, sans plus d’explication.
Voici l’exemple de POC Désirable réalisé par l’entreprise québécoise MOS Rack.
MOS Rack est un support «multisports» qui peut aussi servir pour les kayaks, les skis et les boîtes cargo. S’installant directement sur les barres de toit d’une automobile, il se déploie 51 cm plus bas grâce à un système à hydraulique. L’augmentation de la consommation d’énergie du véhicule est le principal impact environnemental du support lorsqu’il est installé sur le toit. La version écoconçue permet de retirer le support plus facilement quand on ne s’en sert pas. L’utilisation d’assemblages simples et résistants améliore la durabilité et la réparabilité du support.
Un sondage réalisé par l’entreprise avait révélé que 61 % des personnes qui utilisaient un support à vélo sur le toit de leur voiture trouvaient cet équipement problématique. MOS Rack a été le premier à offrir quelque chose qui peut aussi servir pour les vélos et les autres sports.
Le marché a été validé grâce à une campagne de sociofinancement sur le site La Ruche. (voir le vidéo de la campagne de socio-financement). L’objectif était de 35 000$ en sociofinancement. Plus de 21 unités au prix de 775$, ont été vendues avant le lancement officiel de la campagne.
POC Usage (POC-UX)
Après le POC-D, on ajuste le prototype afin qu’il soit assez complet pour le mettre entre les mains des utilisateurs. Le but est de tester l’usage et l’expérience-client pour ensuite geler le cahier de charges. Le cahier de charges établit les résultats recherchés ainsi que les contraintes ou exigences (techniques, économiques, légales, environnementales…) relatives au produit. Ces informations seront transformées en spécifications techniques. Voir à ce sujet le blogue de Stratégie MP sur l’importance de créer un bon cahier de charges. Ici, il ne faut pas se lancer dans une suite à ne plus finir de questionnaires, mais observer et voir de manière intuitive, comment les gens utilisent le produit.
Repenser l’usage, c’est se recentrer sur l’humain. Si vous vous lancez à l’éco-conception, mais que la symbolique du produit ne l’explique pas clairement, vous passez carrément à côté. Bien des entreprises font du «greenwashing», en offrant une symbolique forte, derrière un produit sans avoir structure, ni les fonctions pour supporter leurs prétentions éco-responsables. On doit donc travailler de front les trois aspects et surtout de penser à mettre beaucoup d’émotion dans le produit.
Lors de la validation de l’idée, le POC-UX est un aspect souvent négligé. Les développements techniques sont souvent une source de conflits, avec les usages des clients. Lorsqu’on s’intéresse vraiment à la meilleure solution, on découvre que les gens ne passent pas là où l’on pense qu’ils devraient passer, comme le démontre cette image.
C’est pourquoi observer est aussi important. On peut faire des lois qui changent notre façon de consommer. On peut les contraindre à changer. On peut aussi créer des produits verts sensationnels et espérer que les gens les achètent. Cependant, les usagers sont pleins de contradictions. Par exemple, ils disent oui à des produits écologiques. Mais pas au détriment de leur confort.
Nous voyons notre monde tel que nous sommes et non tel qu’il est réellement. En fin de compte, l’utilisateur ne changera pas (ou changera très lentement). Pour faciliter le changement vers le développement durable, c’est aux technologies et aux produits verts de répondre aux usages.
Voici le cas de Pretty Ugly Compagny qui s’est donné comme mission de faire un pied de nez au gaspillage alimentaire en lançant une salsa faite de légumes frais qu’elle récupère auprès de producteurs et de distributeurs alimentaires. l’entreprise a aussi lancé un deuxième produit, des croustilles, qui sont faites de farine de maïs bio et de drêche, un résidu de grains de brassage qu’elle obtient des micro-brasseurs.
Au début de 2022, les fondateurs ont fait des tests de marché dans différents points de vente, dont le Marché Jean-Talon à Montréal. Ce qui leur a permis d’ajuster le produit. Ils ont aussi lancé une production à petite échelle dans un restaurant. Un ami leur prêtait la cuisine le week-end. En deux jours, le couple d’entrepreneurs pouvait remplir 400 pots de salsa.
Toutefois, passer de échelle artisanale à une échelle industrielle n’est pas facile. Lorsqu’on a Sobey’s comme client, on ne parle plus de quelques pots mais de palettes entières. Les fondateurs ont dit «oui» à Sobey’s en sachant fort bien qu’ils n’étaient pas capables de fournir 10 palettes, soit 14 000 pots à la fois. Comme dit l’adage, «je traverserai le pont une fois rendu à la rivière». Ils y sont arrivés.
Comme ils n’avaient pas suffisamment de fonds pour investir dans une usine, ils ont choisi comme plusieurs startups industrielles le font, la voie de la sous-traitance. Ce type de décision se prend généralement à l’étape 6- définition des moyens de production, du processus de lancement d’une startup industrielle. Mais trouver le bon sous-traitant ne fut pas une mince tâche. L’économie circulaire avait bien mauvaise presse auprès de plusieurs. Pour eux, les tomates récupérées sont sales. Ils avaient peur de la contamination croisée de leurs lignes de production. Mais, ils ont fini par en trouver un, un bon!
Lors de la phase du POC Usage (POX) on doit se rappeler que les perceptions des clients sont ultra-importantes à considérer, tout comme leurs biais cognitifs. Toutefois, on ne peut pas toujours se fier aux perceptions, surtout lorsqu’il s’agit d’un produit innovateur. Cela me fait penser à la citation d’Henry Ford à propos de la Ford T. « Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils auraient répondu des chevaux plus rapides». Mais dans la très grande majorité des cas, on en apprendra beaucoup sur les gens, simplement en les observant utiliser votre produit.
Toutefois, on doit toujours rappeler de l’importance des perceptions dans les décisions d’achat. Et ce tout ce que les consommateurs croient, c’est vrai, même si vous pouvez prouver le contraire. Voici l’histoire de la réaction des consommateurs de Cadbury lorsqu’elle a changé leurs barres de chocolat favorites. La révolte grondait en Grande-Bretagne. La Dairy Milk, la tablette de chocolat préférée des Britanniques avait changé de forme, et les carreaux angulaires sont devenus arrondis.
Ce nouveau format semblait déplaire aux Britanniques, qui se plaignent par exemple d’un mauvais goût, « huileux » et « trop sucré ». Pourtant, le fabricant Cadbury affirmait que la recette est restée la même. La forme du chocolat détermine-t-elle son goût ? Une étude publiée dans LWT – Food Science and Technology, démontre effectivement que pour une même recette, la forme influence réellement la perception du goût. Une nouvelle géométrie modifie la surface de la zone en contact avec la bouche, et donc la vitesse à laquelle le chocolat fond. Certaines saveurs sont donc délivrées plus ou moins vite. Et en général, les formes arrondies, s’adaptant mieux au palais, favorisent l’onctuosité. Voilà peut-être l’explication du goût huileux décrit par les consommateurs.
POC technique (POD-T)
Enfin, le petit dernier, le POC technique. C’est la dernière phase à compléter, avant le prototype industriel et la production en pré-séries. C’est ici que la majorité de la recherche et développement est effectuée. C’est ici que l’on fait des bancs d’essai. Les deux choses les plus importantes à considérer sont la «simplexité» (rendre simple quelque chose de complexe et le prix de revient. Chacune des fonctions est revue et les coûts de chacune de ces fonctions sont analysés. Tout ce qui est superflu est coupé. Tout ce qui présente peu d’intérêt pour les clients est abandonné. Tout ce qui peut être amplifié pour accroître sa valeur est considéré.
Lors de cette phase, on revoit entièrement les fonctions du produit, afin d’accroître le maximum de valeur. Il s’agit de faire des bancs d’essai pour tester, itérer et valider la faisabilité du produit, tout en optimisant sa viabilité économique. Le design, les caractéristiques, ses fonctions, ses composantes sont gelés.
Une fois que le produit répond aux fonctionnalités indiquées dans le cahier des charges et qu’il respecte les normes de sécurité en vigueur, il peut être validé et homologué. L’étude de sa fabrication et de sa commercialisation peut commencer. On conçoit des produits au «juste nécessaire» des besoins des clients et on apporte de la valeur ajoutée.
En conclusion
Plus on passe du temps, de la rigueur, de la réflexion au début d’un projet d’éco-conception, en réalisant par exemple des preuves de concept, plus on augmente ses chances de succès. On va souvent trop vite, en sautant des étapes clés, pour être rattrapé plus tard par des coûts imprévus qui peuvent en péril le projet. Les trois types de POC (POC-D, POC-UX, POC-T) constituent de bonnes pratiques à adopter en début de processus.
Il existe une foule de méthodes pour vous aider à diminuer les risques et accroître la valeur de votre produit. Le Design-to-Cost, le Design-to-Value et le Design-to-Process permettent aussi de concevoir, de réaliser et de tester des prototypes fonctionnels.
Comme on ne peut pas être excellent dans tout, on peut aller chercher l’expertise ailleurs. Il y a de plus en plus de ressources pour vous aider à réussir votre projet d’éco-conception. Parmi ces ressources, il y a l’Institut de développement de produits (IDP- innovation) qui a mis en place une offre de service en éco-conception tant pour les entrepreneurs que les acteurs économiques comme DPME, INO et Connexion Laurentides.
Comme en France, où les initiatives se multiplient, l’avenir du Québec passe par sa réindustrialisation, avec une approche circulaire. Toutefois, le Québec n’a pas encore totalement emboité le pas. Il est temps de valoriser les startups industrielles du Québec. Il est temps de penser à l’éco-conception.
