La deuxième raison pour ne pas se lancer en affaires est: «le manque d’argent»
Par Jean Lepage
Les nouveaux entrepreneurs ont souvent l’impression qu’ils manquent de ressources pour entreprendre. Dans mon blogue précédent, je vous ai parlé du mythe qu’il faut une bonne idée pour vous lancer en affaires. Le premier principe de l’effectuation : « faire avec les moyens du bord » vous aide à résoudre ce problème. Dans ce blogue, j’aborderai le deuxième mythe le plus tenace en entrepreneuriat, celui du manque de ressource. Je parlerai de d’autres principes de l’effectuation : la perte acceptable et le patchwork fou pour résoudre le problème du manque de ressources.
Le principe de la perte acceptable consiste à garder les pertes sous votre contrôle afin que vous soyez libre d’agir. Vous pouvez choisir quand et combien vous êtes prêt à perdre avant de vous lancer dans votre projet.
Quant à lui, le principe du patchwork fou consiste à faire appel à des parties prenantes qui ont librement décidé de s’impliquer et qui vous aideront à augmenter votre niveau de perte acceptable, tout en vous procurant d’autres moyens.
En tant qu’entrepreneur, l’une des choses les plus importantes à savoir est que le processus pour créer un projet ne débute généralement pas par un moment eurêka ! L’éclair de génie. La grande idée qui va révolutionner le monde.
Cela débute réellement avec des choses que vous avez sous la main, selon les limites que vous vous fixez, avec les personnes qui sont prêtes à travailler avec vous.
Le principe de perte acceptable
La perte acceptable est l’idée que vous n’investissez dans votre projet, pas plus que ce que vous pouvez vous permettre de perdre. Une perte acceptable a vraiment de belles choses à offrir parce que vous ne pouvez pas savoir à l’avance combien investir dans votre projet. Vous savez seulement combien vous pouvez vous permettre de dépenser, sans que cela vous fasse mal, si votre projet venait à mal tourner.
Lorsque vous entreprenez, ne jouez jamais le tout pour le tout. Vous voulez toujours vous assurer que si vous vous trompez, car vous vous trompez probablement, vous n’aurez pas tout misé sur votre première idée. Vous gardez ainsi une marge de manœuvre pour pivoter au besoin, ou vous lancer sur une nouvelle piste parce que vous vous retrouvez dans un cul-de-sac.
L’effectuation vous encourage à utiliser le principe de la perte acceptable pour échouer à moindre coût, échouer selon vos propres limites et survivre à vos échecs.

Partir par ses propres moyens: Un oiseau dans la main vaut mieux que dix oiseaux sur la branche
Comment calculer votre perte acceptable? En argent? Lorsqu’on parle de ressources, on pense rapidement à l’argent que vous investissez. Toutefois, le temps est aussi ressource. Vous pouvez investir plusieurs quantités de temps et de différentes quantités.
Les ressources peuvent aussi être du matériel que vous possédez (voiture, outils, grange…). Votre réputation est une ressource, par exemple, lorsque vous abandonnez une brillante carrière pour poursuivre une opportunité d’affaires. Vos émotions font aussi partie de votre panier de ressources.
Toutes ces ressources font partie de qui vous êtes, des moyens dont vous disposez pour faire quelque chose.
Pourquoi n’appelle-t-on pas cela un investissement acceptable?
Il y a quelque chose de très important dans l’entrepreneuriat en rapport avec la notion de perte. En psychologie, les chercheurs ont étudié le biais de l’aversion à la perte. Les gens accordent plus d’importance à une perte éventuelle qu’à un gain potentiel. Si vous avez par exemple 50% de chances de faire un gain de 100$ et 50% de chance de faire une perte, le jeu n’en vaudra pas la chandelle et vous refuserez de prendre la chance de perdre 100$.
Mais si vous contrôlez votre perte potentielle à un niveau acceptable, vous l’essaierez. Vous passerez à l’action. L’aversion à la perte stimule ou restreint combien de risque les entrepreneurs sont prêts à prendre. Et la perte acceptable permet de contrôler ce risque.
L’escalade d’engagement est un autre biais qui est contrôlable par le principe de la perte acceptable. Il décrit un certain type de comportement humain : un entrepreneur peut continuer à prendre des décisions allant dans le sens d’une décision initiale, même si cette décision initiale est un échec. Par ce biais cognitif, l’entrepreneur maintient des comportements irrationnels qui s’alignent sur les décisions et actions précédentes, jusqu’à franchir un point de non-retour.
Voici un exemple de biais de l’escalade d’engagement. Vous avez investi 10 millions de dollars pour construire un avion indétectable par radar. Lorsque le projet est achevé à 90%, une autre entreprise commercialise un tel avion. Il est évident que l’avion concurrent est plus rapide et économique que le vôtre. Faut-il investir les derniers 10% de fonds pour terminer votre avion ? Vous devriez prendre une décision rationnelle en abandonnant le projet, puisque les perspectives de perte sont très élevées.
Pourtant, la majorité des gens seront influencés par les sommes élevées déjà engagées et choisiront de poursuivre l’investissement malgré des retombées économiques clairement défavorables.
En revanche, lorsque la situation est formulée sans mentionner les sommes déjà investies, les participants ont largement tendance à renoncer. Ainsi, le biais d’engagement peut être évité lorsque la prise de décision n’est pas influencée par les actions antérieures engagées dans un projet. Pensez aux nombreux projets d’infrastructures publiques dont les coûts explosent. Si le biais d’escalade peut faire des ravages dans le secteur public, imaginez son impact lorsque les entrepreneurs n’ont pas accès à toutes les ressources dont ils ont besoin pour exploiter l’opportunité.
Même si certains entrepreneurs sont prêts à tout risquer, jusqu’à la dernière cenne, pour poursuivre leur opportunité, la plupart d’entre nous doivent conjuguer avec des moyens limités. Nous agissons de manière à rendre nos actions les plus abordables possibles, de manière à diminuer les risques.
La perte acceptable peut devenir une contrainte, parce qu’elle limite la quantité de ressources que vous êtes prêt à investir. Néanmoins, cela vous pousse aussi à être plus créatif avec les ressources limitées que vous possédez.
Le va-et-vient qui se joue dans votre tête entre le patchwork fou et la perte acceptable augmente la probabilité que vous arriviez avec quelque chose de nouveau. Et si votre projet s’avère un échec, vous pouvez toujours vous requestionner: pourquoi faites-vous cela? Est-ce que c’est pour moi? Est-ce que cela vaut le coût? Vous pouvez toujours revenez aux premiers principes de l’effectuation: quels sont mes moyens du bord? Quelle est ma perte acceptable? Puis vous vous remettez dans un mode de co-création grâce au principe du Patchwork fou.
Une fois que vous avez une vision claire de votre perte acceptable, toute la suite devient logique. Vous ne laisserez pas votre égo et votre fierté prendre le dessus sur les meilleures décisions à prendre pour vous-même.
La perte acceptable est comme un engagement que vous prenez, à un moment de votre vie, de ne pas aller au-delà d’une limite.
Avant de franchir cette limite, ayez une discussion franche avec votre famille ou vos amis, sur les limites que vous vous êtes fixées. Pouvez-vous encore vous permettre de perdre ce que vous avez déjà perdu ? Pouvez-vous vous permettre d’en perdre davantage ?
Si vous utilisez le principe de la perte acceptable, combiné avec le principe du patchwork fou, et que vous essayez de faire quelque chose à partir de vos moyens, et que vous assemblez le tout avec différents types de perte acceptable provenant de différentes personnes, qui ensemble, vous fournissent de nouveaux moyens pour réaliser quelque chose, vous déclenchez un effet boule de neige, vers un état d’esprit d’abondance et de création de richesse.
Les parties prenantes constituent un réseau de moyens et de pertes acceptables où tout le monde engage ce qu’ils pensent pouvoir se permettre de perdre aussi. En tant que nouvel entrepreneur, vous n’avez besoin que d’un peu de tout. Mais à mesure que l’entreprise croît, à mesure que vous ajoutez des parties prenantes, votre perte acceptable se transforme.
À mesure que vous possédez plus de ressources, qu’il y a davantage de parties prenantes impliquées (employés, clients, fournisseurs…), il devient tentant de vouloir augmenter votre niveau de perte acceptable en vous disant: « je peux me le permettre, je peux acheter cette entreprise, je peux acheter cet équipement coûteux ». Mon conseil est de résister à la tentation.
J’aimerais aussi parler d’un autre aspect de la perte acceptable. La décision de ne pas plonger a aussi un coût. La question que les entrepreneurs omettent parfois de se poser est: « que se passe-t-il si je ne démarre pas » ?
Les entrepreneurs experts ont une vision différente du coût d’opportunité. Ils se disent: « Je veux être mon propre patron » ou « je veux me lancer dans cette aventure ». Ils réfléchissent au coût d’opportunité de ne pas le faire. Ils se demandent: « si je ne commence pas maintenant, quand le ferai-je ? », et « serais-je satisfait si je ne l’essaie jamais ? ». Il est impossible de calculer le coût d’opportunité de ne pas démarrer l’entreprise, car vous pourriez ne rien faire ou gagner un milliard de dollars.
La perte acceptable vous pousse à agir et à vous amener là où vous pouvez maintenant poser cette question en toute sécurité: «non seulement je peux me permettre de perdre ça, mais si je ne le fais pas maintenant, quand vais-je le faire ?» Et quand vous posez cette question, vous commencez à réaliser ce que vous êtes prêt à perdre pour commencer. Donc, cela attire naturellement votre attention sur les inconvénients et ça dit: «voilà ce que ça vaut pour moi de démarrer une entreprise».
C’est sensé puisque la plupart d’entre nous ne regrettons pas grand-chose que nous avons fait. Mais nous regretterons certainement des choses que nous n’avons pas faites. Les entrepreneurs ont généralement ce sentiment, que, s’ils ne commencent pas ceci maintenant, quand vont-ils le faire ? Et une perte acceptable facilite cela.
Parce que vous devez utiliser des ressources, des choses sous votre contrôle pour augmenter ce qui est sous votre contrôle en faisant embarquer d’autres personnes dans votre projet. Si vous arrivez à un point d’arrêt dans votre perte acceptable, c’est que vous n’avez pas attiré suffisamment de parties prenantes. Vous n’avez pas porté assez attention au principe du patchwork fou et du principe du pilote dans l’avion. Vous êtes en quelque sorte coincé avec vos moyens du bord et votre propre perte acceptable.
La seule décision que vous devez prendre est «est-ce que je peux réellement mettre dans le processus qui, s’il est perdu, ça ne me dérange pas vraiment». La perte acceptable n’est pas quelque chose que vous faites seulement qu’au début de l’aventure. C’est aussi quelque chose qui peut devenir un aspect créatif de la construction de votre entreprise et la façon dont vous créez et gérez les ressources. Mais c’est aussi quelque chose qui est un aspect de la psychologie entrepreneuriale que vous avez besoin de maîtriser pour aller de l’avant.
Le principe du patchwork fou
Le principe du patchwork fou fait référence à l’autosélection des parties prenantes. Au lieu de sortir et parler aux gens, à des personnes particulières avec des ressources particulières et essayer de les embarquer à travers un «pitch de vente», vous parlez à n’importe qui, et à tout le monde, et vous permettez aux gens de s’autosélectionner dans votre projet.
Quand vous pensez à l’effectuation, vous pensez au patchwork fou. Qu’est-ce que cela signifie vraiment?
Les gens que vous approchez peuvent choisir eux-mêmes leur rôle et apporter toutes les ressources qu’ils pensent pouvoir se permettre de perdre pour travailler avec vous. Le patchwork fou est important, car il remplit trois fonctions.
Tout d’abord, il vous donne accès à des moyens supplémentaires qui vous proviennent de vos partenaires.
Deuxièmement, cela répartit les risques entre vous et vos partenaires.
Et troisièmement, les engagements pris aident à prioriser différentes directions d’entreprise par rapport à d’autres qui sont des impasses ou sont moins intéressantes.
Quand vous approchez les gens, soyez ouverts, écoutez. N’ayez pas d’idées trop arrêtées, et gagnez le droit d’avancer. Cela signifiait attendre l’occasion de parler de votre projet. Cela signifie aussi prouver que vous comprenez bien leurs besoins et leurs attentes. Laissez les autres entrer et façonner vos idées.
Vous commencez à parler à tout le monde, à toute personne que vous rencontrez en cours de route. Vous pourriez avoir une idée à qui vous voulez parler avant de commencer votre aventure. Toutefois, vous êtes ouvert à parler à des gens que vous n’avez pas prévus de parler également.
Et la façon dont vous parlez aux gens est de leur permettre de réfléchir avec vous, de co-créer la vision et la mission de l’entreprise.
Dans le processus d’échange, les gens peuvent s’engager d’une manière qui compte pour eux. Les interactions avec les gens vous procurent de nouveaux moyens de travailler avec, de nouvelles personnes avec qui travailler, et de nouveaux potentiels (opportunités) à considérer.
Les engagements vous aident à choisir entre ceux-ci et vous aident à prioriser. Parfois, ces choix vous amèneront dans une direction quelque peu différente ou une direction très différente que certaines personnes appelleront un pivot.
Quoi qu’il en soit, le fait est que lorsque vous travaillez vos idées à travers le processus efficace, vous êtes guidé par les gens avec qui vous parlez, puis ceux qui s’engagent envers vous.
Comme la plupart des gens le disent, on ne sait jamais qui sait quelque chose ou qui connaît quelqu’un d’autre. Selon la théorie, nous ne sommes qu’à un maximum de 6 degrés de séparation entre vous et n’importe qui dans le monde. Même si votre idée est radicalement nouvelle ou nécessite une rare expertise, nous avons tous à un moment donné, frappés d’une conversation fortuite ou d’une information qui allume notre imagination.
Le principe du patchwork fou est probablement le plus complexe des principes de l’effectuation. Il capture l’idée de vous exposer aux autres, de partager vos idées puis de rechercher une rétroaction qui se présente sous la forme d’un engagement d’une partie prenante autosélectionnée.
Quand vous essayez d’assembler ce patchwork de différentes personnes, vous devez trouver les gens, mais aussi vous devez prendre un risque. Vous ne pouvez pas avoir peur de recevoir un «non». Si cela vous arrive, n’ayez pas peur de demander pourquoi, et demandez comment faire en sorte que ce soit un «oui».
Conclusion
Dans ce blogue, j’ai abordé l’importance des ressources, qui est souvent un obstacle majeur pour de nombreuses personnes qui souhaitent se lancer en affaires. Une des principales préoccupations est de ne pas disposer de suffisamment de ressources, d’argent ou de temps. Cependant, il existe un concept très précieux : celui de la « perte acceptable ». Ce principe vous permet de ne pas investir davantage que ce que vous pouvez vous permettre de perdre, et ainsi de garder le contrôle sur vos pertes.
Non seulement cela vous permet de lever les barrières liées au manque de ressources, mais cela vous autorise également à travailler avec ce que vous pouvez vous permettre de perdre. Vous pouvez même réussir à faire des merveilles avec des matériaux de récupération, comme l’a fait l’entreprise Cascades au début de son aventure. Voir mon blogue à ce sujet.
En parallèle, commencez à travailler avec d’autres personnes en utilisant la méthode du «patchwork fou». Laissez-les s’autosélectionner et s’engager avec vous. Vous verrez ainsi vos ressources se multiplier.
En combinant la notion de perte acceptable avec la méthode du patchwork fou, vous constaterez que l’idée de manquer de ressources disparaîtra instantanément. Vous n’aurez plus à vous soucier de ce que vous n’avez pas encore en main.
Au lieu de cela, adoptez une mentalité d’abondance et cessez de vous inquiéter pour tout ce qui vous manque. Rappelez-vous : quelqu’un, quelque part, peut arriver avec quelque chose dont vous avez besoin, ce qui viendra s’ajouter à votre perte acceptable. Vous pourrez ainsi continuer à développer votre entreprise. Soyez efficace, prenez des mesures, mais surtout, interagissez au fur et à mesure que nous avancerons dans le prochain article.
(L’effectuation est une découverte de Saras Sarasvathy. Je me suis largement inspiré de ses travaux)
