Northvolt, ange ou démon?

Le décodeur économique

Par Jean Lepage

Le projet de méga-usine de batteries Northvolt au Québec a suscité beaucoup de controverses depuis son annonce spectaculaire en 2023.

Entre les déclarations du ministre de l’Économie, de l’innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, contre les journalistes, les groupes environnementaux et les activistes, ainsi que les informations cachées et révélées par différents médias, la situation est vraiment confuse.

Pourquoi ce projet est-il si controversé ? Est-ce un bon pari pour le Québec ? C’est ce que je vais décoder dans ce blogue.

Dans une rare intervention dans La Presse, le ministre Fitzgibbon a plaidé récemment en faveur de Northvolt et de la nouvelle filière batteries.

Il a souligné qu’il n’est pas surprenant que « ces investissements colossaux dans un secteur d’avenir suscitent des bouleversements – et de l’enthousiasme – mais que «démoniser» l’entreprise Northvolt est «contre-productif» ».

M. Fitzgibbon a réitéré que des entreprises comme Northvolt sont des «alliées» du Québec, qui doit atteindre ses «objectifs climatiques» dans les prochaines années. En effet, le Québec aspire à devenir rie de moins que le premier État carbone neutre en Amérique du Nord.

De plus il a déclaré « que le Québec vise à doubler la taille d’Hydro-Québec d’ici 25 ans, sans devenir le Dollarama de l’électricité ».

Selon le ministre, avec la filière batterie, c’est la première fois dans l’histoire du Québec que nos ressources naturelles vont générer de la valeur ajoutée ici, grâce à notre expertise.

Le gouvernement cherche à créer de la richesse collective et à réduire notre écart de richesse avec l’Ontario en créant des emplois bien rémunérés et durables. En 2019, le premier ministre Legault avait fixé arbitrairement la barre d’un emploi bien rémunéré à 56 000$

Crédit photo: Christinne Muschi, Presse canadienne

Dans une autre déclaration, le ministre Fitzgibbon mentionnait que s’il n’y avait aucune subvention du gouvernement, il n’y aurait aucune activité dans la filière batterie au Canada, cela se passerait aux États-Unis. Selon lui, croire qu’on peut réussir sans subventions est «naïf».

Mon premier décodage: Qui est Northvolt ?

Un sauveur de l’économie du Québec ou un démon ?

Northvolt est une start-up suédoise qui veut fabriquer des batteries destinées aux véhicules électriques. Elle possède plusieurs installations en Suède, en Pologne et en Allemagne, dont un centre de recherche et une usine de recyclage de batteries. C’est une start-up, car elle n’a pas encore de modèle d’affaires rentable et est encore en phase de développement.

Northvolt Six, l’usine au Québec, sera la première unité de fabrication de batteries entièrement intégrée du pays, avec la fabrication de matière active de cathode sur place, la production de batteries et le recyclage.

Northvolt est une entreprise privée avec un carnet de commandes bien rempli, comptant des prospects prestigieux comme BMW (qui vient d’annuler son engagement), Volvo et Volkswagen. Privé, veut dire qu’il y a un voile opaque entourant ses opérations. Elle fournit l’information qu’elle veut bien transmettre. Ce qui doit nous inciter à la plus grande prudence.

On parle de 55 milliards de dollars en potentiel de ventes. Elle est déficitaire depuis ses débuts. C’est comme si quelqu’un vous demandait d’acheter un bateau révolutionnaire, mais inachevé, qui risque de couler parce qu’il fuit de partout. Mais tant que les pompes font leur travail, il restera à flot. Pour Northvolt, les pompes c’est l’argent qu’elle va chercher pour financer ses activités déficitaires, en investissement, en prêts, en subvention.

Dans ses états financiers de 2022, l’entreprise a réalisé des revenus de 143 millions de dollars CA et des pertes de 415 millions de dollars. Northvolt a essuyé une perte de 1,4 milliard au cours des neuf premiers mois de 2023. Les mauvais résultats financiers de Northvolt s’expliquent en bonne partie par la faible production de l’unique usine de l’entreprise, située à Skellefteå (CO LEF TIO), dans le nord de la Suède, et par ses importants inventaires de lithium, de nickel et de cobalt, dont la valeur a chuté. 

Est-ce que l’entreprise est menacée ? Si tel était le cas, elle n’aurait pas levé 5 milliards de dollars US en janvier dernier sous forme de prêt et 1,5 milliard de dollars US il y a quelques mois. Tant que l’argent frais rentre, il n’y a pas de problème.

L’entreprise a levé un total de 14,38 milliards de dollars (US) en 25 rondes de financement. Pour l’instant, elle réussit très bien à trouver les fonds, bien qu’il y ait un phénomène de mode chez les investisseurs. Pour l’instant, tout ce qui touche les voitures électriques est populaire auprès des investisseurs, comme le montre le cas de BYD (pour « Build Your Dream »), non seulement le plus grand constructeur chinois de véhicules électriques, mais également devenu le numéro un mondial au dernier trimestre de 2023, devant Tesla.

Le plus gros actionnaire institutionnel de BYD est la firme Berkshire Hathaway, du milliardaire américain Warren Buffett. En attendant, une guerre de prix fait rage, avec les fabricants chinois pressant les prix à la baisse. Le prix d’une batterie de 60 kWh est passé de 6 776 $US à 3 388 $US en seulement 12 mois, permettant ainsi d’économiser plus de 3 000 $US par véhicule. Un prix de vente moins élevé combiné à des frais d’exploitation plus élevés, signifie moins d’argent pour une start-up comme Northvolt. 

Mon deuxième décodage concerne les généreuses subventions.

Peut-on attirer des abeilles avec du miel ? Les subventions sont-elles bénéfiques pour l’économie ?

Puis, il y a la technologie. Quelle chimie de batterie l’emportera ? Lithium-ion, sodium-ion, tout-solide… Il est trop tôt pour le dire pour les véhicules électriques. Mais à mesure que la transition verte avance, il est probable que nous aurons besoin non pas d’une seule, mais de nombreuses options.

Pourquoi les gouvernements sont-ils attirés par ce miroir aux alouettes ? Pour deux raisons:

En conclusion, la filière des batteries représente-t-elle une bonne affaire pour le Québec ?

La réussite de Northvolt, c’est un peu comme si vous aviez pour objectif de monter une expédition vers la lune, à la manière de la NASA. Tout doit se dérouler à la perfection. Vous avez besoin de miracles en cascade, sinon vous connaitrez un échec. Les miracles en cascades signifient que beaucoup de choses doivent bien se passer et, si l’une d’entre elles ne se produit pas, l’entreprise échoue. C’est comme une équation mathématique : lorsque vous multipliez une série de résultats et si l’un d’eux est zéro, alors la valeur totale de l’équation est nulle. Et on a juste à regarder autour de nous pour voir des start-ups comme Taïga Motors dont la survie est en jeu parce que le miracle en cascade ne se réalise pas. Parfois, les entreprises réussissent quand même. 

Mais beaucoup de choses peuvent mal tourner. Elles peuvent manquer d’argent, être rachetées, la technologie peut changer, les coûts de production devenir trop élevés, le prix des batteries chuter, les acheteurs potentiels s’impatienter (comme BMW), et bien d’autres choses encore.

Bien sûr, la NASA a pris le risque et a réussi à toucher la lune. Toutefois, pour y parvenir, elle avait mobilisé tout un écosystème : laboratoires, chercheurs, compagnies en plus d’allonger des milliards pour y parvenir. Malgré tout, elle a connu des échecs, comme Apollo 13 ou Challenger. La filière batterie du Québec est naissante. Cela signifie que l’écosystème de la chaine d’approvisionnement doit être bâti de toute pièce, ce qui augmente de beaucoup les risques.

Mon petit bémol, tant qu’à parier, j’aime mieux le faire avec une start-up technologique qui a le vent en poupe, comme Northvolt, plutôt que sur une multinationale bien établie comme Tesla, qui demande la lune pour s’installer quelque part et qui le fait au plus offrant. Les entreprises en forte croissance ont des besoins constamment évolutifs à satisfaire. Et plus elle sera ancrée dans la communauté, mieux ce sera.

Quand le légendaire entrepreneur Elon Musk, de Tesla, a pris la décision de construire une « giga-usine » de batteries au lithium en 2013, qui devait être la plus grande du monde, quatre États étaient en compétition. Musk avait fixé le ticket d’entrée à 500 millions de dollars, en subventions bien sûr. Aucun n’était prêt à aller jusque-là. Le Nevada a remporté la féroce bataille fiscale et a ramené la prise chez lui. Mais à quel prix ? Au final, l’État aura accordé, sur une période de vingt ans, plus de 1,3 milliard en crédits d’impôt de toutes sortes pour concrétiser l’investissement d’un coût estimé entre 4 et 5 milliards de dollars US.

Donc, Northvolt, sauveur ou démon? Un peu des deux. C’est une start-up comme bien d’autres. Certaines peuvent connaitre des trajectoires interstellaires comme Novo Nordisk au Danemark, vous savez l’Ozempic? Et d’autres feront  «pic pic» comme Teranos, qui avait une valeur de 13.5 milliards de dollars et qui ne vaut plus rien. On ne le sait jamais d’avance qui gagnera, qui perdra. C’est cela la «game» quand on joue avec des startup.

Plutôt qu’aller chercher du capital, une autre façon de financer une startup est avec les fonds publics. Les fameuses subventions. Pour Northvolt, ce sont 2,7 milliards que les gouvernements ont offerts pour la construction de l’usine, auxquels s’ajoutent des subventions pour chaque cellule produite. La Presse a calculé que chaque voiture électrique équipée de cellules de batteries Northvolt du Québec coûterait 3000 $ en subventions de la part des gouvernements du Québec et du Canada.

Les États américains et les provinces canadiennes se livrent une concurrence sans merci pour obtenir leur part du gâteau. J’ai vécu cela personnellement dans des dossiers d’attraction tels qu’Amazon ou de Motorola.

«Tous sont prêts à mettre beaucoup d’argent sur la table pour attirer de gros poissons».

Selon le New York Times, aux États-Unis, les gouvernements locaux dépensent chaque année 80 milliards de dollars américains en mesures incitatives (170 milliards si on inclut le fédéral) pour attirer des investissements et créer des emplois.

Le Texas arrive en tête avec plus de 20 milliards en subventions de toutes sortes. Le New York Times a identifié 5 000 entreprises ayant reçu plus de 1 million de dollars en subventions. Avec plus de 3,5 milliards de dollars, GM est en troisième position. Finalement, les sommes accordées par les municipalités à GM n’ont rien changé. Au moins 50 propriétés de GM fermées étaient situées dans des villes et des États lui ayant accordé des subventions. Avec plus de 13 milliards en subventions, Boeing demeure l’entreprise la plus subventionnée aux États-Unis.

Qu’en est-il pour le Canada ? Selon une étude de l’Institut Fraser, sur une période de 30 ans, les gouvernements auront attribué aux entreprises 684 milliards de dollars en subventions de toutes sortes. Certaines critiques qualifient ces mesures de bien-être social pour entreprises, une approche qui n’a pas démontré d’impact significatif sur l’économie. L’argent provient des contribuables pour être distribué à des entreprises déjà productives ou rentables. 

Ces dernières s’attendent à recevoir des subventions parce que d’autres entreprises en ont bénéficié ou parce qu’elles ont reçu des offres d’autres gouvernements.

De plus, plusieurs multinationales ne paient pas d’impôt au Canada. Elles profitent de l’optimisation fiscale. Les grandes entreprises utilisent cette technique pour réduire leurs impôts, comme dans le cas d’Apple en Irlande. Cette façon de socialiser les pertes et privatiser les profits augmente le fardeau fiscal pour les autres entreprises et les citoyens. Les pertes fiscales mondiales dues à l’évitement fiscal ou à l’évasion fiscale sont estimées entre 100 et 240 milliards de dollars américains. Elles sont préjudiciables pour la prospérité et la confiance des citoyens.

Pourquoi les gouvernements sont-ils attirés par ce miroir aux alouettes ? Pour deux raisons:

  1. La politique industrielle canadienne actuelle privilégie le concept de « trop grand pour faire faillite » plutôt que « trop petit pour être remarqué ». Elle repose sur l’idée que les grandes entreprises et les entreprises de haute technologie sont les meilleurs moyens de créer des emplois bien rémunérés, de maximiser les retours sur investissement et d’augmenter les recettes fiscales de l’État. Pendant des décennies, les gouvernements ont couru après les grandes entreprises, en se concentrant sur la croissance ou la préservation d’emplois dans les secteurs manufacturier et technologique, convaincus par les « effets multiplicateurs » des investissements dans ces « entreprises d’ancrage » régionales.  C’est pourquoi les investissements gouvernementaux dans l’emploi et l’innovation se concentrent sur les grandes entreprises, et pourquoi des milliards sont investis dans des entreprises vieillissantes considérées comme trop grandes pour échouer. Ces investissements peuvent être fructueux : les plans de sauvetage du secteur automobile en 2008-2009 ont sauvé des milliers d’emplois, et les 37 milliards de dollars récemment promis aux installations de fabrication de batteries de Volkswagen, Stellantis-LGES et Northvolt représentent un investissement dans la transition énergétique, visant à préserver les emplois à long terme.
  2. L’autre raison, c’est politiquement rentable. Attirer des entreprises est avantageux en termes de votes. Une étude de l’Université de Columbia a conclu que proposer des incitatifs à des entreprises qui s’établissent sur le territoire peut augmenter le score électoral d’un candidat de 5,6 %. Cependant, cela ne fonctionne pas à tous les coups. La CAQ, le parti au pouvoir, a perdu 13 points depuis l’annonce du projet Northvolt. Plusieurs facteurs expliquent cette importante perte de popularité, mais le gouvernement Legault a miné sa propre crédibilité et a nui à l’acceptabilité sociale du projet Northvolt qui devait être le projet du siècle.

L’acceptabilité sociale des Québécois a évolué au fil du temps. Les critères qui ont influencé les choix de projets dans les années 90, marquées par un taux de chômage élevé, ne sont plus pertinents aujourd’hui. Le monde est devenu plus complexe, les individus ont perdu leurs repères, se sentent isolés et ont du mal à comprendre les enjeux qui souvent les dépassent. Ils sont inondés d’informations concernant la crise climatique, l’inflation, la perte de richesse, les enjeux de l’éducation et du système de santé. Ils peinent à imaginer autant d’argent investi dans un seul projet économique, qui avance sans avoir fait d’études environnementales sérieuses et sans étude sérieuse du potentiel économique.

D’un côté, il manque d’argent pour financer les services auxquels les citoyens s’attendent et de l’autre côté on accorde massivement des subventions aux entreprises. Cela crée de la confusion. Et quand les citoyens sont confus, ils cessent de faire confiance aux gouvernements.

Les critiques ne se limitent pas seulement aux subventions accordées aux multinationales. Les milliards d’aides gouvernementales octroyées aux entreprises au cours des 25 dernières années n’ont pas contribué à accroitre la productivité du Québec, ce qui le place en retard par rapport aux autres économies développées, selon un rapport du Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) de HEC Montréal. Une autre étude de l’Université de Sherbrooke dresse un constat sévère : sur les 702 entreprises du Québec bénéficiant du crédit d’impôt pour les affaires électroniques, dont des multinationales, seulement quatre paient des impôts. De plus, le gouvernement perd de l’argent dans cette optique.

Les auteurs de cette étude soulignent que malgré plus de 25 ans d’interventionnisme économique, la politique industrielle du Québec n’a pas produit les résultats escomptés. Toujours selon les HEC de Montréal, la politique industrielle du Québec est un échec et nuit à la croissance économique de la province. En effet, elle réalloue massivement des ressources pour encourager le développement de nouveaux créneaux, mais reste passive pour préserver des emplois dans des secteurs qui souffrent d’un manque de productivité, d’innovation et d’investissement.

Pour stimuler son économie, le Québec investir dans la productivité, soutenir les dépenses en R&D et rendre main-d’œuvre plus qualifiée. Vaut mieux construire une ruche pour faire prospérer la colonie que tenter d’attirer des abeilles avec du miel.

Mon troisième décodage concerne le Québec et son ambition de devenir le premier État carbone neutre en Amérique du Nord.

Pourquoi aspirer à être les premiers ?

Le gouvernement québécois insiste sur le fait que le projet Northvolt est essentiel pour la « décarbonation » du Québec, bien qu’aucune preuve ne suggère que cette usine contribuera directement à réduire les émissions de gaz à effet de serre de la province. Le ministère de l’Environnement ne dispose pas non plus de données étayant l’idée d’un projet bénéfique pour atteindre nos objectifs climatiques. De plus, Northvolt lui-même ne prétend pas viser la neutralité carbone. Selon son site web, son objectif est de produire des batteries ayant une empreinte carbone inférieure de 90 % à celle des batteries produites avec de l’énergie issue du charbon, ce qui est loin de l’ambition de neutralité carbone évoquée par le ministre.

Les initiatives d’électrification des transports du gouvernement du Québec, susceptibles de diminuer les émissions, ne dépendent en aucun cas de Northvolt. Le gouvernement a du mal à investir dans les infrastructures de transport public. En 2018, lors de la campagne électorale qui a mené la CAQ au pouvoir, elle avait promis de démarrer six grands projets de transport en commun, qui sont aujourd’hui tous au point mort. 

Northvolt représente un développement économique strict, sans lien avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Néanmoins, le Québec bénéficie financièrement du marché du carbone, ayant accumulé plus de 1,5 milliard de dollars du marché du carbone l’année dernière, un record qui soutiendra son budget. Cependant, je suspecte que l’objectif de devenir le premier État carbone neutre sert davantage à faire du marketing d’Investissement Québec pour attirer des entreprises dans le secteur des batteries.

Selon Guy Leblanc, président actuel d’Investissement Québec, le Québec a l’avantage significatif de pouvoir produire des batteries avec de l’énergie propre, un atout majeur dans un contexte où les industriels cherchent à réduire leur empreinte carbone. Plusieurs autres projets sont en cours d’évaluation. 

En fin de compte, même si les consommateurs les adoptent en masse, il y a peu de garanties que cela profiterait à la planète. Pourquoi? Les véhicules électriques peuvent être propres à conduire, mais sont encore sales à construire, notamment à cause de l’exploitation intensive des minéraux stratégiques utilisées dans la fabrication des batteries.

Ce qui me fait dire que le gouvernement n’est pas sérieux avec les questions des GES. Il est assis sur un fonds vert de 1,7 milliards et qu’il ne sait pas quoi faire avec.

Mon dernier décodage économique : Hydro-Québec et la stratégie du «Dollarama de l’électricité».

Au-delà des subventions pour attirer les investissements étrangers, le Québec propose également de l’électricité à bas prix, une politique déjà bien établie.

Cette stratégie de développement, familière au Québec, consiste à utiliser notre électricité abordable pour attirer des multinationales qui opèrent des procédés industriels gourmands en énergie. Par exemple, avec ses huit fonderies, le Québec est un producteur majeur d’aluminium sur la scène mondiale. La raison de cette concentration de fonderies au Québec n’est ni la bauxite ni la proximité des marchés, mais bien le coût abordable de l’électricité. Récemment, La Presse a révélé que ces fonderies bénéficient de larges subventions, paient peu d’impôts et consomment environ 20 % de toute l’électricité du Québec. C’est un investissement collectif considérable pour une industrie qui, en réalité, crée peu de valeur ajoutée puisque la majorité de la transformation, donc la création de richesse, se fait aux États-Unis.

En 2021, le secteur industriel représentait 32 % des émissions de GES du Québec, avec 25 millions de tonnes de GES, la production d’aluminium et de magnésium comptant à elle seule pour 40,6 % de ces émissions.

Bien que l’Ontario compte 20 385 entreprises manufacturières, soit 7 000 de plus que le Québec, son secteur industriel consomme 40 % moins d’énergie. Transformer des ressources naturelles comme le magnésium ou l’aluminium requiert davantage d’électricité que de produire des biens à plus forte valeur ajoutée, tels que des voitures ou de la machinerie lourde. Cette capacité à produire une grande variété de produits complexes en Ontario explique en partie la disparité de richesse entre les deux provinces.

C’est pour cette raison que Northvolt a choisi le Québec pour installer sa nouvelle usine, Northvolt Six, qui bénéficiera de notre hydroélectricité pour produire des cellules d’une capacité de 60 mégawattheures par an, permettant de fournir des batteries pour 1 million de véhicules chaque année, destinés au marché nord-américain. 

Selon le Journal de Montréal, chaque ménage québécois, indépendamment de ses revenus, contribuera en moyenne à hauteur de 13,39 $ par an pour subventionner l’électricité consommée annuellement par Northvolt.

Le Québec a toujours été un terreau fertile pour les politiques industrielles, surtout depuis la Révolution tranquille. Le plan Nord du gouvernement Charest ou les grappes d’innovation mondiale du gouvernement fédéral en sont des exemples. Nous avons été témoins d’échecs, comme celui du Plan Nord, des difficultés rencontrées par des sociétés d’État dans le secteur de l’acier (SIDBEC) ou dans celui du pétrole et du gaz (SOQUIP), sans oublier les échecs répétés dans l’industrie automobile avec des entreprises comme Peugeot-Renault (SOMA), GM ou Hyundai, et plus récemment Peugeot-Citroen. Cependant, il y a également eu des succès notables, le plus grand étant sans doute Hydro-Québec.

La nouvelle filière des batteries est le dernier exemple en date où le gouvernement québécois tente d’influencer le cours de l’économie. Cependant, elle monopolisera de nombreuses ressources politiques et financières, qui ne seront dès lors pas disponibles pour d’autres secteurs également méritants, tels que la deuxième et troisième transformation de l’aluminium. « Idéalement, il faudrait pouvoir soutenir les deux. » D’autres secteurs prometteurs ? Le transport terrestre, et l’environnement. Ce secteur compte 1 500 entreprises, dont Biothermica, Enerkem et Premier Tech, tous leaders dans leur domaine.

Le ministre Fitzgibbon souligne que, pour la première fois, les ressources naturelles du Québec seront transformées sur place, profitant de la richesse du Québec en métaux rares nécessaires à la fabrication des batteries. L’exploration minière pour des gisements de graphite, de lithium et de terres rares a connu un pic au Québec en 2022. Cependant, nous avons encore un long chemin à parcourir et de considérables investissements seront nécessaires pour extraire ces matériaux à des prix compétitifs. En réalité, malgré leur bonne volonté, rien n’empêche les futures usines de batteries de s’approvisionner en dehors du Québec, comme le fait déjà Northvolt, qui s’approvisionne en Australie et bientôt au Congo pour son cobalt. Le marché des métaux est global. Pour rester compétitives, ces entreprises achèteront là où les coûts seront les plus avantageux. Qui plus est, Sayona une mine de lithium est en réorganisation et Nebraska Lithium a été contrainte récemment de se placer à l’abri de ses créanciers.

Afin d’atteindre cet objectif, le Québec vise à attirer des investissements sans précédent de la part d’entreprises internationales pour chaque étape de la chaîne d’approvisionnement des véhicules électriques, de l’extraction au traitement des minéraux critiques jusqu’à la fabrication des batteries. Ces investissements devraient stimuler la croissance économique et créer des emplois bien rémunérés pour la classe moyenne, aujourd’hui et pour les décennies à venir.

Mais combien coutera la nouvelle grappe de classe mondiale de la filière batterie canadienne?

En réalité, les 44 milliards de dollars mentionnés (en me basant sur les chiffres du directeur parlementaire du budget plutôt que sur l’estimation officielle de 38 milliards) ne concernent que trois usines : 14,4 milliards pour convaincre Volkswagen de fabriquer des batteries à St. Thomas, en Ontario, 16 milliards pour encourager Stellantis (ex-Fiat Chrysler et Peugeot SA) à ouvrir une usine à Windsor, et 7,3 milliards pour attirer le fabricant suédois de batteries Northvolt en banlieue de Montréal. À cela s’ajoute le coût de l’exonération fiscale de ces subventions.

Étant donné que cet argent sera emprunté, les frais d’intérêt doivent également être pris en compte. Le directeur parlementaire du budget les estime à 6,6 milliards de dollars. Au total, cela représente 50 milliards de dollars dépensés. Pour trois usines seulement.

Si l’on considère le nombre total d’emplois prévus dans ces usines, soit 8 500, cela équivaut à plus de 5 millions de dollars par emploi.

Pour compléter la chaîne d’approvisionnement et en faire une véritable grappe industrielle de classe mondiale, il faudrait investir, d’ici 2030, 50 milliards supplémentaires pour l’exploitation des matériaux critiques (nickel, lithium, etc.) et 20 milliards pour les composantes des batteries (anodes, cathodes, etc.). Je rajoute un petit deux milliards de dollars pour l’innovation et la R&D, ce qui porte la facture à 122 milliards. Je ne suis pas convaincu que nous ayons les conditions pour aller chercher tous les investissements requis pour construire cette grappe.

Je doute sérieusement que les gouvernements aient les moyens de leurs ambitions. Même en réussissant à financer l’ensemble de la chaîne et à la rendre opérationnelle d’ici 6 ans, le Canada ne capterait qu’une petite part du marché mondial. 

Petite question quiz : quelle est la valeur de BYD et CATL, les deux plus grands fabricants chinois de voitures électriques ? 270 milliards de dollars. Ils ont formé un partenariat avec d’autres acteurs chinois pour créer la batterie du futur.

Nous n’allons pas dominer le marché mondial des batteries, même avec 122 milliards de dollars. Nous ne sommes pas les premiers sur le coup : la Chine s’y intéresse depuis 20 ans.

Construire une grappe industrielle nécessite plusieurs ingrédients : une main-d’œuvre suffisante et expérimentée, des infrastructures numériques et physiques de soutien, une synergie entre les acteurs locaux et des entreprises dynamiques à fort potentiel de croissance. Mais cette grappe échouera si nous ne capitalisons pas sur nos propres atouts, ceux qui lui confèrent des avantages concurrentiels à l’échelle nationale et internationale, et si nous ne nous dotons pas d’un plan solide pour les valoriser. Le succès d’une grappe industrielle repose souvent sur des éléments communs : un engagement fort du gouvernement (pas juste financier mais aussi dans le soutien et l’approvisionnement), une base de talents et de recherche solide, un environnement favorable à l’entrepreneuriat, et parfois, un peu de chance en ce qui concerne le «timing» et les circonstances du marché.

En fin de compte, ce sont les géants de l’automobile qui auront le dernier mot, et non les gouvernements qui jouent aux apprentis sorciers. En passant, Ford retardera de deux ans le lancement des véhicules électriques à son usine d’Oakville, en Ontario, alors que les ventes de voitures à zéro émission faiblissent et que la Chine continue à creuser son avance. Les gouvernements paient le tiers de la facture de Ford.

Conclusion: Alors, est-ce une voie à suivre ou pas ? 

Voici ma petite évaluation:

  • Attractivité du marché : 4/5 (vaste marché de 329 milliards USD en 2030). 
  • Adéquation entre le tissu économique du Québec/Canada et le secteur : 2/5. Il nous manque bien des ingrédients pour construire cette grappe. Le secteur des métaux rares a de la difficulté, malgré le potentiel, les capacités de production d’électricité sont limitées. L’usine de Nortvolt est une entreprise isolée sans liens étroites avec les classes existantes de produits du Québec .
  • Capacité d’exploitation (faisabilité) :2/5 – Les mauvais résultats financiers de Northvolt s’expliquent en bonne partie par la faible production de la seule usine de l’entreprise, située à Skellefteå, dans le nord de la Suède, et par ses importants stocks de lithium, de nickel et de cobalt, dont la valeur a plongé.
  • Création de valeur (rentabilité) : 2/5 – Northvolt ne prévoit pas faire de profits avant plusieurs années encore. Les gouvernements estiment que les recettes fiscales fédérales et provinciales générées par les usines de fabrication de batteries pour véhicules électriques de Stellantis-LGES et Volkswagen sur la période de 2024 à 2043 seront égales au montant total des subventions à la production ». 
  • Total : 9/20. 

À 5 millions par emplois, c’est très cher payé pour chaque emploi créé (ou plutôt déplacé). Je vous rappelle que les subventions accordées par les gouvernements du Québec et du Canada équivalent à 50 fois les revenus mondiaux de Northvolt de 2022. C’est du jamais vu. 

Northvolt est une entreprise qui a beaucoup de potentiel, mais qui est très risquée. Je ne crois pas qu’elle sauvera l’économie du Québec. Je ne crois pas au potentiel de création de richesses de la filière batterie, ni qu’elle favorisera la transition du Québec vers le développement durable. Dans la filière batterie, les gouvernements du Québec et du Canada agissent comme des Don Quichotte qui se battent contre les moulins à vent. Il y a plein d’autres secteurs industriels existants qui valent la peine d’être valorisées, en autant qu’on y mette des efforts concertés. 

Pour terminer, avec une note de 9/20, je suis convaincu que Northvolt et la filière batterie est un mauvais pari pour le Québec. Pour créer de la richesse comme le désirent les gouvernements Legault et Trudeau, il y a une foule d’autres actions à faire, accroitre la productivité, la troisième et la quatrième transformation de l’aluminium, le secteur de l’environnement… Mais pour y arriver, il faut mettre en place rapidement une vraie stratégie industrielle, collée sur nos propres atouts, pas ceux des autres pays.

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