Par Jean Lepage
En tant que développeurs économiques, nous devons tous démontrer notre impact par des retombées directes et quantifiables. Toutefois, notre impact est rarement immédiat et notre valeur ajoutée est difficile à mesurer. Qu’en est-il des projets privés? Est-ce que nos communautés en ont pour leur argent lorsqu’elles investissent dans ces projets?
L’influenceur Farnell Morisset dans La Presse propose trois questions à poser aux gouvernements qui désirent faire des investissements publics dans les projets privés, peu importe sa taille.
Québec et Ottawa sont prêts à investir 7 milliards de dollars dans le projet d’usine de batteries de Northvolt. L’entreprise vient d’annoncer une restructuration. Il y a plus d’un an, j’avais mis en doute la pertinence de cet investissement, que l’on disait «stratégique» pour le Québec. Est-ce que ce projet devrait aller de l’avant? Quelles sont les bonnes questions que nous devrions nous poser avant de mettre de l’argent public dans un tel projet privé?
Voici les trois questions qu’on devrait tous poser chaque fois que nous proposons d’investir de l’argent public dans un projet privé, peu importe le palier de gouvernements.
Question 1: Est-ce que l’investissement privé se ferait quand même sans l’investissement public?
Si le projet est viable et que c’est une bonne façon d’attirer des investissements, on pourrait considérer d’aller de l’avant.
Toutefois plusieurs autres raisons peuvent justifier un « oui » à cette question. Un investissement public peut être politiquement rentable, devenir une façon de démontrer notre utilité, avoir le potentiel de faire un rendement ou encore, juger que le projet est trop grand pour faire faillite. Il faudrait alors pousser plus loin le questionnement.
Mais pourquoi le secteur public veut prendre un risque? Ce qui mène à la deuxième question.
Question 2: pourquoi le secteur public devrait-il prendre le risque d’investir dans un projet?
Même les meilleurs projets comportent des risques. Le risque fait partie de la réalité des investisseurs.
Le secteur public peut avoir de bonnes raisons de prendre un risque. Il arrive que le projet privé ne puisse se faire sans l’aide du secteur public. Le projet n’est pas viable, sans cette aide. Dans ce cas, il faut poser une troisième question.
Question 3: Pourquoi investir dans un projet non viable?
Il se peut que l’ensemble des investisseurs trouvent le projet trop risqué pour prendre seul l’investissement. Encore une fois, il peut y avoir de bonnes raisons d’aller de l’avant. Ce peut être pour des raisons stratégiques, une question de positionnement économique ou de climat d’affaires.
Juger qu’un projet est stratégique ou qui permet de bien positionner une région, n’est pas une mince tâche. Quelques fois ces expressions (stratégique et positionnement) sont une sorte de fourre-tout pour justifier d’aller dans un projet, même si ses chances de succès sont minimes. Par exemple, on peut déterminer que c’est une industrie du futur comme la filière batterie. On peut dire que c’est bon pour l’environnement, que cela permettra de décarboner notre économie. Peut-être! On peut bien dire, comme François Legault, que d’investir dans la filière batterie était «un pari» avec «risque calculé». Qu’il ne s’inquiète pas «que Northvolt ralentisse pendant une année». Avec toutes ces entreprises, «dans 25 ans, on va se dire : «Eh qu’on a fait un bon coup!»
Peu importe, on doit juste s’assurer que l’argent est investi dans nos intérêts.
Ce qui m’amène au dernier point. C’est la peur de manquer le bateau. Ou si vous préférez, la peur de l’opportunité manquée. Le « Fear of missing out », le mot traduit l’anxiété qui pousse de nombreux gouvernements à rester dans un projet pour ne pas risquer de le manquer si on ne le fait pas. L’entreprise privée peut menacer de s’installer ailleurs. Elle peut en profiter pour mettre les régions en concurrence. Elle promet de faire pleuvoir de l’argent grâce à ses investissements et de créer des «jobs». Et qu’on serait «fou» de s’en passer. Dans ma carrière, j’en ai vu des projets comme ça. Pressés par l’entreprise, obnimulée par ses belles promesses, les gouvernements baissent leur garde. On oublie alors de poser les bonnes questions. Avec les bonnes réponses, les bons projets, eux, passeront!
