Quatrième partie
Par Jean Lepage
Cette série explore les facteurs qui créent la richesse des nations. Dans mon précédent article, j’ai expliqué comment certains pays, autrefois très pauvres, sont devenus parmi les plus riches du monde. Ces exemples peuvent inspirer tous les pays, y compris le Canada.
Mais alors, comment transformer une économie? Comment les sociétés apprennent-elles à devenir prospères?
L’économie comme un jeu de Scrabble
Dans un article précédent, j’avais comparé le savoir-faire productif à un jeu de Scrabble : plus une économie possède de « lettres » (compétences), plus elle peut former de « mots » (produits). Pour une économie comme celle du Québec, il s’agit de commencer à fabriquer des produits qu’elle ne produisait pas auparavant, en migrant vers des produits proches — ceux qui nécessitent seulement quelques compétences supplémentaires pour être créés.
Prenons un exemple concret : il est plus facile pour le Québec de passer de la production de lingots d’aluminium à celle de canettes de bière qu’à celle de cartes électroniques. Pourquoi? Parce que les canettes de bière demandent des compétences similaires à celles nécessaires pour fabriquer des lingots, tandis que les cartes électroniques appartiennent à un domaine totalement différent.
Le développement économique fonctionne donc comme un jeu de construction :
- Une économie utilise ce qu’elle sait déjà pour créer de nouveaux produits.
- Elle acquiert de nouvelles compétences qu’elle combine avec ses capacités actuelles pour innover davantage.
Ainsi, le Québec doit exploiter ses forces actuelles tout en apprenant de nouvelles techniques pour enrichir son espace productif. Toutefois, pour le Québec et pour toutes économies, elles doivent aussi reposer sur des fondations solides, les institutions.
L’importance des institutions : l’exemple de Nogales
Les économistes Daron Acemoğlu, Simon Johnson et James A. Robinson, lauréats du prix Nobel d’économie 2024, ont montré que les institutions jouent un rôle clé dans la prospérité des nations. Ils ont comparé deux villes voisines : Nogales, en Arizona, et Nogales, au Mexique.
Malgré leur proximité géographique, leur culture commune et un environnement similaire, ces deux villes sont radicalement différentes. Nogales, en Arizona, est prospère : les citoyens vivent plus longtemps, bénéficient d’une bonne éducation et jouissent de droits protégés. À Nogales, au Mexique, la pauvreté est omniprésente, les institutions sont corrompues et le crime organisé freine l’entrepreneuriat.
La différence? Le système institutionnel américain protège les droits de propriété et offre aux citoyens une voix dans le gouvernement, tandis que celui du Mexique, bien qu’amélioré ces dernières décennies, reste moins performant.
L’espace productif : une carte pour se développer
Revenons au concept d’espace productif. Plus une économie est intégrée dans les zones les plus denses de cet espace, plus elle est complexe et plus elle a de chances de croître rapidement. La complexité économique est même un meilleur indicateur de la croissance du PIB qu’un simple décompte des années de scolarité.
Pour se diversifier, une économie doit viser des produits qui répondent à trois critères :
- Complexité : Le produit doit être plus sophistiqué que ceux déjà exportés.
- Faisabilité : Sa production doit être possible avec les compétences et ressources existantes, ou faciles à acquérir.
- Potentiel : Le produit doit ouvrir des portes vers d’autres opportunités économiques.
Par exemple, au Québec, la production de motoneiges par BRP s’appuie sur un écosystème dynamique d’entreprises, de centres de recherche et de compétences locales. Cette communauté économique est bien connectée, contrairement à l’industrie de l’aluminium, qui reste isolée dans l’espace productif.
L’importance des capacités
Une économie prospère repose sur ses capacités productives. Chaque compétence est comme une pièce de LEGO : plus on en a, plus on peut construire. C’est pourquoi des pays comme la Suisse, avec une « boîte de LEGO » bien remplie, sont riches et diversifiés.
Le Québec peut apprendre de ces exemples et continuer à se diversifier en s’appuyant sur ses forces tout en explorant de nouveaux horizons. En investissant dans des secteurs proches de son savoir-faire, il peut enrichir son espace productif et se donner les moyens de croître durablement.
Consultez mes trois autres articles de cette série sur la création de richesse
L’essor des exportations italiennes et le modèle taïwanais
