Par Jean Lepage
Le Québec, riche en ressources naturelles, a longtemps axé son économie sur la transformation primaire et les exportations vers les États-Unis. Cette dépendance, autrefois avantageuse, montre aujourd’hui ses limites face aux fluctuations du commerce international et aux politiques protectionnistes, comme les tarifs imposés par l’administration Trump. Pour assurer une prospérité durable, il est essentiel d’adopter une stratégie industrielle axée sur la fabrication à valeur ajoutée, la diversification des produits, l’innovation et l’amélioration de la productivité.
Dans un article précédent, « Accroître la productivité et l’innovation : le défi économique du Québec , j’ai mis en évidence les principaux obstacles freinant notre économie : une productivité stagnante, une bureaucratie lourde, une innovation en déclin et une fiscalité pesante pour les entreprises.
Dans cet article, j’explorerai le lien entre la complexité économique et la prospérité d’un territoire comme le Québec.
Comprendre la complexité économique
Les économistes Ricardo Hausmann et César Hidalgo ont introduit le concept de complexité économique qui évalue la sophistication et la diversité des produits qu’une économie peut produire et exporter. Plus une économie est capable de créer des biens complexes et variés, plus elle est compétitive et résiliente. À l’inverse, une économie limitée à la production de matières premières présente une complexité économique faible.
Une économie complexe génère davantage d’emplois qualifiés et de richesse qu’une économie axée sur les ressources primaires.
Les défis actuels de l’économie québécoise
Les économies diversifiées s’adaptent mieux aux crises et aux chocs mondiaux. Toutefois, le Québec accuse un retard en matière de complexité économique, ce qui limite son potentiel de développement.
Le Québec dépend fortement de l’exportation de produits à faible valeur ajoutée, tels que les lingots d’aluminium, le minerai de fer, le pétrole et l’or, principalement destinés au marché américain. Cette concentration expose la province aux fluctuations des marchés et aux politiques commerciales étrangères. De plus, le manque de diversification industrielle et l’absence d’une vision de développement claire freinent l’innovation et la productivité.
Vers une stratégie industrielle ambitieuse
Historiquement axé sur la transformation primaire et les exportations vers les États-Unis, le Québec doit désormais adopter une stratégie industrielle favorisant la création de start-ups industrielles et la transformation des entreprises manufacturières vers la fabrication de produits à haute valeur ajoutée. Cette approche est cruciale pour renforcer la résilience économique de la province et assurer une croissance durable.
Encourager la création de start-ups industrielles
Les start-ups jouent un rôle clé dans le dynamisme économique en introduisant des innovations et en stimulant la concurrence. Par le passé, le Québec a misé sur les start-ups technologiques axées sur les services (jeux vidéo, Fintech, TIC). Il est désormais temps de se concentrer davantage sur les start-ups industrielles.
Pour encourager leur émergence, le Québec peut mettre en place plusieurs initiatives :
- Offrir des incitatifs fiscaux attractifs : Réduire les charges fiscales pour les nouvelles entreprises innovantes afin de stimuler les investissements en recherche et développement et l’acquisition de propriétés intellectuelles (brevets, marques, dessins industriels).
- Faciliter l’accès au financement : Mettre en place des fonds pour soutenir les start-ups industrielles à leurs débuts, notamment lors de la phase pré-industrielle (ingénierie, bancs d’essai, pré-séries, normes). Actuellement, l’écosystème québécois n’est pas structuré pour accompagner les start-ups industrielles.
- Créer des écosystèmes d’innovation : Accélérer le développement d’écosystèmes spécialisés offrant des infrastructures de pointe et favorisant la collaboration entre chercheurs et entrepreneurs industriels. Le développement devrait se faire autour de solutions industrielles novatrices qui répondent à des besoins spécifiques du marché. La scalabilité du produit et sa capacité à s’étendre à l’international sont aussi essentielles. Encore ici, les écosystèmes spécialisés peuvent jouer un rôle clé.
- Accompagnement en propriété intellectuelle : Lancer des programmes, qui aident les start-ups à acquérir de la propriété intellectuelle et à élaborer des stratégies de propriété intellectuelle, protégeant ainsi leurs innovations et renforçant leur position sur le marché.
Transformer les entreprises manufacturières vers des produits à plus grande valeur ajoutée
Pour accroître sa complexité économique, le Québec doit investir dans la recherche et développement, l’éducation et l’internationalisation de ses entreprises. Cependant, il est également crucial d’analyser la complexité des produits fabriqués au Québec en fonction du nombre de pays capables de les produire.
Le Québec compte 13 755 établissements manufacturiers employant des salariés. La distinction entre un fabricant (moins de 400 actuellement) et un sous-traitant reste floue. La différence entre les deux dépend de qui est le propriétaire du produit. Augmenter le nombre de fabricants qui conçoivent, produisent et commercialisent leurs propres produits, créera davantage de richesse. On doit apprendre à mieux connaitre ces fabricants et aider davantage d’entreprises à développer, fabriquer et vendre leurs propres produits. Voici les actions que l’on peut mettre en place:
Soutenir tous les types d’innovations, pas seulement la R&D : Encourager les entreprises à investir dans la recherche et développement et la propriété intellectuelle pour développer de nouveaux produits, à acquérir des produits et à améliorer les processus de fabrication. Par exemple, Carrossier Rive-Sud de Lévis a acquis TOR Trucks Corporation, une entreprise américaine, incluant la marque de commerce et la propriété intellectuelle, englobant les dessins, l’ingénierie et les tests développés depuis les années 1970.
Adopter des technologies avancées : Promouvoir l’intégration de technologies telles que l’automatisation, la numérisation et l’intelligence artificielle pour améliorer l’efficacité et la compétitivité. Les Aliments Fabbrica ont récupéré les équipements d’une autre entreprise alimentaire ayant cessé ses activités et misé sur l’automatisation complète des procédés de fabrication pour faire en sorte que son produit, en plus d’être local et santé, soit moins cher que la concurrence.
Formation continue des dirigeants et des employés: Mieux former les dirigeants et les employés afin qu’ils développent les compétences nécessaires à l’adoption et à la maîtrise des nouvelles technologies et à l’adaptation aux processus de production modernisés. Des études confirment que l’on doit amorcer une refonte des outils d’intervention destinés aux PME.
En combinant l’adoption de technologies avancées et la formation continue, le Québec peut renforcer sa complexité économique, générer des emplois qualifiés et assurer une croissance durable.
Pour que le Québec prospère dans une économie mondiale en constante évolution, il est essentiel de concentrer ses efforts sur des secteurs stratégiques à fort potentiel. Cette approche nécessite une main-d’œuvre qualifiée, des infrastructures robustes et une collaboration étroite entre les acteurs locaux et les entreprises innovantes de classe mondiale.
Identifier et développer les secteurs d’excellence: Le Québec possède une quarantaine de secteurs d’excellence. Parallèlement, le Canada a mis en place cinq grappes d’innovation mondiales pour stimuler la croissance économique et la compétitivité du pays. C’est trop et cela dilue les ressources. Il est crucial de concentrer les ressources sur des domaines où le Québec possède déjà un avantage concurrentiel, plutôt que de disperser les efforts en embrassant trop de secteurs. Pour cette raison, on doit revoir les secteurs d’excellence et en prioriser un maximum de trois ou quatre (La Suède en a ciblé trois).
Lesquels sont les plus porteurs pour le Québec? En tête de liste, on retrouve:
- Transformation de l’aluminium : Le Québec est un leader mondial dans la production d’aluminium. Investir dans les technologies de transformation avancées peut accroître la valeur ajoutée des produits et renforcer la position de la province sur le marché international.
- Transport terrestre : Avec une expertise reconnue dans la fabrication de véhicules (malgré les déboires de Lion et de Taïga) et de systèmes de transport, le Québec peut capitaliser sur les innovations en matière de mobilité durable pour se positionner en tant que pionnier dans ce domaine.
- Environnement et technologies propres : Face aux défis environnementaux mondiaux, le développement de solutions écologiques offre des opportunités économiques significatives. Le Québec abrite déjà environ 1 500 entreprises dans ce secteur, dont des leaders comme Biothermica, Enerkem et Premier Tech.
- Énergie: Hydro-Québec, Energir, Brookfield et tous les sous-traitants qui fournissent des composantes, Marmen, Normec, LDV, Enerserv, LAR, Soucy…
Pour maximiser l’impact économique, il est recommandé que les gouvernements identifient les entreprises de classe mondiale ayant démontré leur viabilité et construisent des grappes industrielles autour d’elles. Cette approche favorise une dynamique entrepreneuriale réelle et évite les écueils de la création artificielle de grappes sans base solide.
Diversification des marchés internationaux: Une économie complexe et résiliente repose sur la capacité à exporter des produits plus complexes et techniquement avancés, que peu de pays fabriquent. Encourager les entreprises québécoises à explorer de nouveaux marchés internationaux réduit la dépendance à un seul marché et multiplie les opportunités de croissance. Cette diversification est essentielle pour atténuer les risques liés aux fluctuations économiques et aux politiques commerciales étrangères.
Conclusion
En focalisant ses efforts sur la création de start-ups industrielles et en soutenant la transformation des entreprises manufacturières vers la fabrication de leurs propres produits, le Québec peut renforcer sa complexité économique. Cette stratégie, axée sur l’innovation, la diversification, la propriété intellectuelle et la productivité, est indispensable pour assurer une prospérité durable et positionner la province comme un leader dans l’économie mondiale.
