Par Jean Lepage
Depuis des décennies, le Québec, et ses régions tentent d’attirer des entreprises en offrant des subventions généreuses et des allègements fiscaux. Pourtant, une étude menée par Endeavor Insight, basée sur des entretiens avec 150 fondateurs d’entreprises à forte croissance aux États-Unis, montre que ces incitations financières ont un impact marginal sur les décisions des entrepreneurs. Ce qu’ils recherchent avant tout, c’est un environnement favorable à leur croissance, un bassin de talents qualifiés et une qualité de vie attrayante.
Le mythe des subventions : Pourquoi ça ne marche pas
L’idée que des subventions généreuses sont le principal facteur d’attraction pour les entreprises repose sur une vision dépassée du développement économique. Selon l’étude d’Endeavor Insight :
- Les entrepreneurs décident où vivre avant même de fonder leur entreprise. 80 % des fondateurs avaient déjà vécu dans leur ville d’implantation depuis au moins deux ans avant de créer leur entreprise.
- L’accès aux talents est la priorité absolue. 31 % des entrepreneurs citent la disponibilité de travailleurs qualifiés comme le critère déterminant pour choisir leur emplacement.
- La proximité des clients et fournisseurs est essentielle. 19 % des fondateurs indiquent que l’accès aux marchés joue un rôle clé.
- Les subventions et les faibles taxes ont peu d’influence. Seulement 5 % des entrepreneurs mentionnent les taux d’imposition comme un facteur de choix, et seulement 2 % citent des réglementations favorables.
Ce que les villes du Québec peuvent faire pour attirer les entrepreneurs
Au lieu de dépenser des millions en subventions ponctuelles, les décideurs économiques devraient investir dans des éléments qui ont un impact durable sur l’attractivité de leur territoire.
1. Développer un vivier de talents qualifiés
Les entrepreneurs recherchent des employés compétents. Les villes doivent donc :
- Favoriser les investissements dans les universités et les formations spécialisées en lien avec les industries en croissance.
- Encourager les partenariats entre entreprises et établissements éducatifs pour adapter les compétences aux besoins du marché.
- Attirer et retenir des travailleurs qualifiés en améliorant la qualité de vie et en facilitant l’installation des familles.
2. Améliorer la qualité de vie
Une ville agréable à vivre est un atout majeur. Les décideurs locaux doivent :
- Développer des infrastructures modernes : transports publics efficaces, espaces verts, services de santé et éducation de qualité.
- Créer un écosystème culturel et social dynamique (événements, loisirs, vie communautaire).
- Offrir un environnement sécuritaire et accueillant pour les entrepreneurs et leurs familles.
3. Faciliter l’accès aux fournisseurs et aux clients
Les entreprises ont besoin de connexions rapides avec leurs clients et fournisseurs. Pour cela, les régions doivent :
- Investir dans des infrastructures de transport (aéroports, routes, parcs industriels, districts d’innovation, concentration d’entreprises, logistique).
- Encourager la création de pôles d’affaires et de créneaux sectoriels pour favoriser les synergies entre entreprises.
- Mettre en place des politiques de soutien à l’innovation et à l’internationalisation (centres de recherche, programmes de soutien).
L’approche de Edward Glaeser et le triomphe de la cité
Les conclusions de l’étude d’Endeavor Insight rejoignent celles d’Edward Glaeser dans son livre Le triomphe de la Cité. Selon lui, les villes prospèrent non pas grâce aux incitations financières, mais parce qu’elles rassemblent les talents, facilitent les interactions et favorisent l’innovation.
- Le capital humain comme moteur économique : Les villes attirent et retiennent les talents, et leur dynamisme repose sur la concentration d’individus qualifiés.
- Les interactions comme levier d’innovation : La proximité physique favorise la transmission des idées et la création de nouvelles entreprises. Par exemple, la Silicon Valley est un écosystème florissant parce qu’elle regroupe des ingénieurs, des investisseurs et des entrepreneurs qui échangent quotidiennement dans des espaces communs comme des cafés, des incubateurs et des universités.
- L’importance de la qualité de vie : Les entrepreneurs choisissent des villes où ils veulent vivre, bien avant d’y créer leur entreprise.
Glaeser met aussi en avant que les villes qui encouragent la densité et la diversité économique génèrent plus d’innovation. À Boston, la proximité entre les universités comme Harvard et MIT et le secteur technologique a favorisé la création de startups prospères dans les sciences de la vie et l’intelligence artificielle.
L’approche de Glaeser renforce l’idée que les politiques publiques doivent se concentrer sur le développement des compétences, des infrastructures et de la qualité de vie, plutôt que sur des subventions ponctuelles et inefficaces.
Exemple : Copenhague, une ville qui a misé sur la qualité de vie
Un exemple frappant d’une ville qui a attiré des entreprises en investissant dans la qualité de vie est Copenhague. Depuis les années 1990, la capitale danoise a transformé son environnement urbain en mettant l’accent sur :
- Des infrastructures durables : Développement de pistes cyclables, amélioration des transports en commun et politiques écologiques ambitieuses.
- Une ville verte et agréable : Création d’espaces verts, zones piétonnes et préservation du cadre de vie.
- Un écosystème d’innovation : Coopération entre universités, startups et grandes entreprises dans des pôles comme le cluster Medicon Valley (sciences de la vie).
Résultats
- De nombreuses entreprises technologiques et pharmaceutiques se sont installées à Copenhague.
- La ville est aujourd’hui classée parmi les meilleures au monde en termes de bien-être et d’attractivité économique.
- Elle attire des talents internationaux et des entrepreneurs innovants grâce à son cadre de vie exceptionnel.
Conclusion : Une nouvelle approche du développement économique
Plutôt que de gaspiller des ressources en subventions qui attirent des entreprises opportunistes sans engagement durable, les régions doivent adopter une approche stratégique basée sur trois piliers : un environnement de qualité, un vivier de talents et un accès facilité aux marchés. C’est en misant sur ces éléments que les territoires deviendront naturellement attractifs pour les entrepreneurs à fort potentiel, assurant ainsi une croissance économique pérenne et bénéfique pour l’ensemble de la communauté.
