Pourquoi les tarifs ne suffisent pas à stimuler l’innovation

Par Jean Lepage

Dans la course pour dominer des secteurs stratégiques comme les batteries et les véhicules électriques (VE), les fabricants chinois tels CATL et BYD ont une telle longueur d’avance qu’ils deviennent presque impossibles à rattraper. Une des raisons principales est leur avantage de coûts, obtenu grâce à une forte demande sur leur marché intérieur, ce qui leur a permis non seulement de réaliser des économies d’échelle, mais aussi d’apprendre à réduire leurs coûts de production.

L’imposition de tarifs douaniers est souvent envisagée pour protéger les industries nationales et stimuler l’innovation locale. Pour les États-Unis, qui s’est lancé dans une guerre des tarifs, cette situation soulève une question cruciale : les tarifs douaniers peuvent-ils réellement favoriser l’innovation locale et la compétitivité industrielle?

Selon l’article Tariffs Drive Domestic Innovation? publié par Harvard Business Review, les tarifs peuvent offrir une protection temporaire à une industrie en développement, mais ils ne suffisent pas à eux seuls à stimuler l’innovation. Ce qui importe surtout, c’est l’effet d’apprentissage : c’est-à-dire la capacité d’une industrie à améliorer ses processus, ses produits et à innover à travers l’expérience, les erreurs, et les itérations. Or, cet effet repose sur une forte demande intérieure, des investissements soutenus et un écosystème industriel solide.

La Chine a investi massivement dans l’industrie de la batterie, soutenant ses entreprises par des politiques gouvernementales, un accès à des ressources critiques, et un énorme marché intérieur. Cela a permis à ses entreprises de progresser rapidement. À l’inverse, aux États-Unis, les barrières tarifaires dans le domaine des batteries, n’ont pas encore généré un écosystème industriel suffisant pour favoriser une dynamique équivalente.

L’histoire économique montre que la protection par les tarifs peut aider si elle est accompagnée de politiques de soutien, telles que l’investissement en R&D, le développement des compétences, des incitatifs à la production locale, et une demande suffisante pour justifier les économies d’échelle.

En somme, les tarifs peuvent être un outil stratégique, mais ils ne remplacent pas les fondamentaux de l’innovation industrielle : apprendre en produisant, investir dans l’infrastructure, et développer un marché intérieur dynamique.

Le contexte canadien

Le contexte canadien présente des défis particuliers en raison de la taille relativement modeste de son marché intérieur.

Le Canada fait face à des obstacles significatifs en matière d’innovation. Selon le Conference Board du Canada, le pays se classe au 15e rang sur 20 pays développés dans son Bulletin de l’innovation 2024, obtenant une note de “C”. Cette performance est attribuée à des investissements insuffisants en recherche et développement (R&D) et à une culture d’investissement prudente. En effet, en 2021, les entreprises canadiennes ont investi environ 5,2 milliards de dollars en R&D dans les secteurs avancés, tandis que les entreprises américaines ont consacré près de 529 milliards de dollars, soit 103 fois plus. 

De plus, le marché canadien est dominé par quelques grandes entreprises, créant un environnement oligopolistique qui peut freiner la concurrence et l’innovation. Cette concentration limite les opportunités pour les petites et moyennes entreprises (PME) d’innover et de croître.

L’accès au financement constitue également un défi majeur. Le marché canadien du capital-risque est relativement restreint, ce qui entrave le développement des entreprises innovantes. Nombre d’entre elles peinent à obtenir les fonds nécessaires pour commercialiser leurs innovations et étendre leurs opérations, les obligeant parfois à chercher des investissements à l’étranger ou à se relocaliser dans des régions offrant un meilleur accès au capital. 

Bien que les tarifs douaniers puissent offrir une protection temporaire aux industries naissantes, ils ne suffisent pas à eux seuls à stimuler l’innovation. Une stratégie efficace pour le Canada consisterait à investir davantage dans la R&D, à encourager une culture entrepreneuriale audacieuse (entreprises à fort potentiel de croissance) et à faciliter l’accès au financement pour les entreprises innovantes.

Et le Québec ?

Et le Québec, son marché est encore plus restreint à cause de ses propres mesures protectionnistes, notamment au niveau de ses barrières interprovinciales.

Le Québec est la province qui impose le plus grand nombre de barrières au commerce interprovincial, avec 35 exceptions à l’Accord de libre-échange canadien. Ces restrictions touchent divers secteurs, notamment la foresterie, où le bois récolté sur les terres publiques doit être entièrement transformé au Québec.

Ces barrières ont des conséquences économiques significatives. Une étude de Statistique Canada estime que les obstacles au commerce intérieur augmentent les prix des biens et services de 7 %. L’élimination de ces barrières pourrait accroître le PIB annuel du Canada de 110 à 200 milliards de dollars.  Pour le Québec, ces restrictions réduisent les opportunités de collaboration et de concurrence avec d’autres provinces, éléments essentiels pour stimuler l’innovation.

En limitant l’accès au marché canadien, les entreprises québécoises sont contraintes de se concentrer sur un marché intérieur restreint. Cette situation peut entraver leur croissance et leur capacité à innover, car elles disposent de moins de ressources et de retours d’expérience variés. De plus, les différences réglementaires entre provinces compliquent la mobilité de la main-d’œuvre qualifiée, essentielle pour le développement de nouvelles idées et technologies. 

Conclusion

Les mesures protectionnistes du Québec, en particulier les barrières interprovinciales, limitent l’accès des entreprises à un marché plus vaste, ce qui peut freiner l’innovation. Une harmonisation des réglementations et une ouverture accrue du marché intérieur pourraient favoriser la compétitivité et la créativité des entreprises québécoises.

Pour renforcer son écosystème d’innovation, le Québec doit aller au-delà des mesures protectionnistes et adopter une approche globale qui favorise la recherche, le développement et la commercialisation des innovations, tout en soutenant activement les PME dans leur expansion internationale. Encore faut-il développer un écosystème industriel solide. Le premier ministre François Legault mise sur les batteries, l’aluminium, et l’intelligence artificielle. Mais ça ne suffit pas. Il faut une vision industrielle globale, une vraie politique industrielle qui met en valeur nos spécialités, une coordination entre les acteurs publics et privés, et des mécanismes concrets pour intégrer les PME, les travailleurs, la formation et l’innovation à long terme.

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