Par Jean Lepage
Après avoir réglé les questions du financement et du développement produit, les start-ups industrielles doivent affronter une autre question cruciale : où fabriquer leur produit ?
Une fois que l’on sait quoi produire et avec quelle proposition de valeur, reste à déterminer où et avec qui. En France, les projets industriels financés sont souvent accueillis à bras ouverts par les acteurs économiques. Le Québec ne fait pas exception. Plusieurs régions multiplient les efforts pour attirer les jeunes pousses : incitatifs fiscaux, terrains industriels abordables, accompagnement logistique…
Par exemple, la Ville de Shawinigan s’était réjouie à l’idée d’accueillir l’usine de production à grande échelle de Taiga Motors. Le projet ne s’est toutefois pas concrétisé en raison des difficultés rencontrées par l’entreprise. Investir dans une start-up industrielle reste un pari risqué… mais souvent payant, en raison des retombées économiques potentielles. Pour mieux comprendre les pièges fréquents, je recommande vivement le livre Why Startups Fail de Tom Eisenmann.
Ce que les meilleurs entrepreneurs recherchent dans une ville
Un rapport d’Endeavor Insight, basé sur des entretiens avec 150 fondateurs d’entreprises à forte croissance aux États-Unis, identifie les facteurs clés qui influencent leur choix de localisation. Ces facteurs sont aussi pertinents au Québec.
Voici les principaux enseignements :
- Facteurs personnels et qualité de vie avant tout. La majorité choisit une ville en fonction de leur vie personnelle, bien avant d’y fonder leur entreprise.
- Accès à des talents locaux. Une main-d’œuvre abondante, spécialisée et bien formée, est essentielle.
- Proximité de clients et fournisseurs. Un critère stratégique.
- Infrastructures de qualité. Aéroports, autoroutes, connectivité… tout compte.
- Incitations fiscales et réglementaires : effet limité. Contrairement aux idées reçues, ces éléments ne sont que rarement décisifs.
Les défis de localisation des start-up industrielles
Défi 1 : Trouver le bon emplacement
Au Québec, implanter une usine exige de jongler avec plusieurs critères : proximité des ressources naturelles, accès aux transports, disponibilité de la main-d’œuvre, soutien local…
L’entreprise Elysis, qui développe une technologie révolutionnaire de production d’aluminium sans gaz à effet de serre, a choisi le Saguenay. Cette région, riche en expertise et en hydroélectricité propre, représentait un choix stratégique.
Défi 2 : Construire rapidement et efficacement
Faut-il construire de zéro ou rénover un bâtiment existant ? Cela dépend du secteur, du budget et des délais. Lion Électrique, start-up industrielle qui fabrique des autobus électriques (en difficulté financière), a ouvert une usine de batteries à Mirabel dans un bâtiment existant. Ce choix a permis une mise en production rapide à moindre coût.
Défi 3 : Attirer les talents locaux
Même la meilleure usine ne vaut rien sans équipe compétente. Certaines régions doivent redoubler d’efforts pour attirer des travailleurs qualifiés. À Shawinigan, Marmen, spécialisée en énergie éolienne, travaille avec des institutions locales pour former une relève adaptée à ses besoins.
Défi 4 : S’intégrer à l’écosystème local
L’intégration sociale et économique est aussi cruciale que l’implantation physique. Sollum Technologies, qui conçoit des solutions d’éclairage intelligent pour l’agriculture, a su tester ses produits en collaboration avec des producteurs locaux. Résultat : crédibilité accrue et ancrage dans l’écosystème agroalimentaire.
Attention aux mirages : les start-up industrielles « pump and dump »
Toute start-up industrielle n’est pas gage de succès. Il faut se méfier des entreprises qui vendent du rêve sans fondement. Certaines, souvent étrangères à la région, multiplient les promesses spectaculaires, gonflent leur valorisation, mais ne livrent pas. J’en ai vu plusieurs dans ma carrière…
Imaginons une start-up prétendant révolutionner le stockage d’énergie. Elle publie des vidéos de prototypes douteux, annonce des « partenariats » avec des géants de l’industrie (qui ne sont en fait que des discussions informelles) et prévoit des revenus irréalistes. L’action grimpe. Les fondateurs vendent leurs parts. Puis, la supercherie éclate.
⚠️ Comment repérer une start-up « pump and dump » ?
- Valorisation qui explose sans raison claire
- Annonces vagues ou sans preuve
- Pression à investir rapidement (« opportunité unique »)
- Manque de transparence financière
- Cherche à s’établir là où les incitatifs sont les plus généreux, mettant ainsi les régions en concurrence les unes avec les autres.
En conclusion
Les start-up industrielles québécoises font face à des défis bien réels. Mais en s’appuyant sur les forces locales — ressources naturelles, expertise, soutien économique — elles peuvent transformer ces défis en moteurs de croissance. Encore faut-il distinguer les projets sérieux des mirages.
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Naviguer entre l’argent et la survie (1/4)
