Devenir un entrepreneur expert à l’ère de l’IA

Et si le vrai superpouvoir n’était pas l’intelligence artificielle, mais l’intelligence entrepreneuriale?

Par Jean Lepage

Il y a plus de vingt ans, la chercheuse Saras Sarasvathy, professeure à l’Université de Virginie, a bouleversé notre compréhension de l’entrepreneuriat.
En étudiant les décisions de fondateurs expérimentés, elle a remarqué quelque chose d’étonnant : ils ne planifiaient pas l’avenir, ils le construisaient.

« Les entrepreneurs experts ne commencent pas avec des objectifs, mais avec ce qu’ils ont — qui ils sont, ce qu’ils savent, et surtout qui ils connaissent. »
– Saras Sarasvathy

C’est cette observation qui a mené à la théorie de l’effectuation — une logique d’action qui s’oppose à la planification traditionnelle.

L’effectuation n’est pas une méthode, mais une logique observée dans la manière d’agir des entrepreneurs expérimentés.

Mais attention : les entrepreneurs experts ne « font pas » de l’effectuation de manière délibérée.

Ils ne connaissent pas le terme, mais pensent et agissent « effectuellement » — c’est-à-dire, de manière intuitive, pragmatique et orientée vers l’action plutôt que la planification.

Ils agissenttestentajustent.

Ils apprennent à naviguer dans l’incertitude en expérimentant, pas en appliquant une méthode.

« Commencez avec ce qui est sous votre contrôle, et co-construisez le reste. »
– Saras Sarasvathy

Ce que Sarasvathy appelle « l’art de demander » (The Effectual Ask) est au cœur de cette approche : oser demander un coup de main, un contact, un essai, un partenariat.

Chaque demande crée une relation, chaque relation ouvre une voie, et chaque voie ouvre de nouvelles possibilités.
C’est ainsi que les entrepreneurs apprennent plus vite que les autres — pas seuls, mais en réseau, dans l’action.

L’IA : la tentation du raccourci

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle promet de tout simplifier.
Une idée ? ChatGPT peut l’écrire.
Un plan d’affaires ? Généré en une minute. Une stratégie? Aussi bien qu’un humain.

L’IA peut rédiger ou évaluer des plans d’affaires aussi bien que les entrepreneurs.
Mais cette efficacité cache un risque profond.

L’IA permet à certains entrepreneurs de lancer plus vite des projets qui semblent mieux ficelés, mais qui sont souvent vides de sens et de substance.
Un phénomène que j’appelle le startslop — une sorte de « bouillie de startup », où la forme prend le pas sur le fond.

Le chercheur du MIT Matt Beane, auteur du livre Skill Code, observe que nous sommes en train d’automatiser les expériences qui formaient autrefois notre expertise.

« Nous éliminons, par automatisation, les situations d’apprentissage réel. Celles où l’on fait, où l’on se trompe, où l’on apprend. »
— Matt Beane

Autrement dit, on devient plus productifs, mais moins compétents.
Les outils nous assistent, mais nous dépossèdent du geste, du discernement, du jugement.
Et comme le souligne Beane :

« La vraie expertise demande de la friction : de la pratique réelle, des retours honnêtes, et la volonté d’avoir l’air maladroit pendant un moment. »
— Matt Beane

L’entrepreneur novice risque de confondre facilité technologique et maîtrise réelle.
Mais l’expertise ne se télécharge pas : elle se construit dans la pratique.

L’entrepreneur comme artisan augmenté

L’entrepreneur expert de demain ne sera pas celui qui maîtrise le mieux les outils d’IA,
mais celui qui saura préserver son apprentissage humain au milieu d’eux.
Un artisan augmenté, capable de marier la logique intuitive de l’effectuation et la discipline du Skill Code.

  • Il agit avec ce qu’il a, au lieu d’attendre ce qu’il lui manque.
  • Il apprend par essais et erreurs, pas par simulation.
  • Il tisse des liens réels, pas seulement des connexions numériques.
  • Il utilise l’IA pour réfléchir mieux, non pour penser à sa place.

« Dans un monde incertain, il ne s’agit pas de prédire l’avenir, mais d’apprendre plus vite que les événements. »
– Saras Sarasvathy

Cinq pratiques de l’entrepreneur expert à l’ère de l’IA

  1. Commence avec ce que tu as.
    L’action précède la clarté. C’est en avançant que vous comprenez ce que vous avez construit.
  2. Pratique l’art de demander.
    Demandez un essai, une rencontre, un avis. L’entrepreneuriat est un sport collectif, c’est l’art d’intéresser des parties prenantes.
  3. Utilise l’IA comme miroir, pas comme béquille.
    Faites-vous aider pour penser plus loin, pas pour éviter de penser.
  4. Reste proche du réel.
    L’expertise se forge dans le faire, sur le terrain, pas dans le clic.
  5. Cocrée ton futur.
    L’entrepreneur expert n’impose pas sa vision : il la bâtit avec les autres.

En conclusion

Les outils changent, mais les fondations de l’entrepreneuriat demeurent.
Ceux qui réussiront à l’ère de l’IA seront ceux qui sauront agir, apprendre et collaborer plus rapidement que les autres.

Les vrais apprentissages entrepreneuriaux se font en communauté : mentors, pairs, cofondateurs, clients, partenaires, écosystèmes.

L’IA peut t’aider à organiser l’information, mais pas à lire une émotion, une hésitation, un silence.

« L’entrepreneur expert, c’est celui qui sait apprendre — plus vite, plus profondément et plus humainement que les autres. »
– Jean Lepage

Dans un monde saturé d’intelligence artificielle, la véritable rareté, c’est l’intelligence humaine en action.

Laisser un commentaire